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l’habitude de se jeter ! Toujours élevés jusqu’à Dieu, ils ne seraient point obligés de descendre pour réparer les forces épuisées de leur corps. Dans quels sentiments pensez-vous que le saint prophète Élie reçut le verre d’eau et le petit pain qui devaient suffire à le nourrir durant l’espace de quarante jours[1] ? Avec une grande ; joie, sans aucun doute, car il mangeait et buvait par devoir et non par passion. Essaie, si tu le peux, d’accorder la même faveur à cet homme qui semblable au troupeau de l’étable, place toute sa béatitude et sa félicité dans le plaisir de la bouche. Il repousse cette faveur, il la déteste et la regarde comme un châtiment. Ainsi en est-il du devoir conjugal : les voluptueux ne contractent mariage que pour assouvir 1curspassions ; combien de fois même leur en conte-t-il de se contenter de leurs épouses ! Ah ! s’ils ne peuvent ou ne veulent se dominer, puissent-ils ne point franchir les bornes, celles même jusqu’où peut aller la faiblesse ! Dis à un homme semblable : Pourquoi t’unir à une femme ? Peut-être répondra-t-il en rougissant que c’est pour en obtenir des enfants. Mais si un homme qu’il croit absolument sur parole, ajoutait : Dieu peut t’accorder et il t’accordera certainement des enfants sans que tu accomplisses l’acte conjugal, on verrait aussitôt, il avouerait même qu’il n’avait pas en vue des enfants en cherchant une épouse. Qu’il convienne donc de sa faiblesse et qu’il reçoive par condescendance ce qu’il prétendait accepter comme devoir.
25. Ainsi les saints des premiers temps, ces, hommes de Dieu, cherchaient des enfants et voulaient en obtenir. Ils ne contractaient mariage que dans ce dessein ; ils ne s’unissaient aux femmes que pour engendrer des enfants ; aussi leur fut-il permis d’avoir plusieurs épouses. Si Dieu avait vu avec plaisir l’intempérance, il aurait aussi bien permis à une femme d’avoir plusieurs maris, qu’il promettait alors a un mari d’avoir plusieurs femmes. Mais si toute femme chaste n’avait qu’un mari, tandis qu’un mari avait plusieurs femmes, n’était-ce point parce que la pluralité des femmes contribue à multiplier la postérité et que la pluralité des hommes pour une même femme n’y saurait contribuer en rien ? Si donc, mes frères, le but de nos pères en s’unissant à des femmes, n’était, que d’engendrer des descendants, quel bonheur c’eût été pour eux d’en obtenir sans accomplir cet acte charnel, auquel ils se prêtaient par devoir et en vue de leur postérité, loin de s’y précipiter avec fougue ? Et pour avoir reçu un fils sans rien donner à la convoitise, Joseph n’était pas son père ? Comment la pureté chrétienne concevrait-elle une opinion semblable, réprouvée même par la chasteté juive ? Aimez vos épouses ; mais aimez-les chastement. Ne désirez l’œuvre charnelle que pour engendrer des enfants ; puisque vous ne pouvez en obtenir que par ce moyen, prêtez-vous-y avec douleur. C’est un châtiment d’Adam, notre premier père. Irons-nous nous glorifier d’un châtiment ? C’est le châtiment de celui qui dut engendrer des mortels pour avoir mérité la mort par son péché. Dieu ne nous a point affranchis de cette peine ; car il veut que l’homme se rappelle d’où il est retiré et où il est élevé, qu’il aspire enfin à cet embrassement divin où ne saurait se glisser aucune impureté.
26. Le peuple Juif devait se propager beaucoup jusqu’à l’avènement du. Christ, il devait être assez nombreux pour figurer tous les enseignements figuratifs de l’Église. Aussi le mariage y était-il un devoir ; il fallait que la multiplication de ce peuple représentât l’accroissement de l’Église. Mais depuis la naissance du Roi de toutes les nations, la virginité a commencé à être en honneur ; elle a commencé par la Mère de Dieu, qui a mérité d’avoir un fils sans aucune altération de sa pureté. De même donc que son union avec Joseph était un vrai mariage, quoique sans convoitise ; pourquoi de la même manière la chasteté de l’époux n’aurait-elle pas reçu ce qu’avait produit la chasteté de l’épouse ? Car si elle était, une chaste épouse, il – était, lui, un époux chaste ; et si elle unissait la maternité à la chasteté, pourquoi tout en demeurant chaste n’aurait-il pu être père ? Dire donc : Joseph ne doit pas porter le nom de père, puisqu’il n’a pas engendré de fils, c’est chercher dans la génération la concupiscence et non la tendresse de la charité. Ah ! son cœur accomplissait plus parfaitement ce devoir que d’autres aspirent à accomplir charnellement. Lorsqu’on adopte des enfants que refuse la nature, le cœur ne les engendre-t-il pas aveu plus de pureté ? Considérez, mes frères, considérez les droits que donne l’adoption, voyez comment un homme devient le fils de celui qui ne lui a pas donné le jour, et comment la volonté de celui qui l’adopte acquiert sur lui plus

  1. 1 R. 19, 6-8