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heureux et moi dans l’angoisse ? « Durant tout le « jour j’ai été frappé de verges. » Ils sont dans la joie, et moi sous les verges ; dans la joie ceux qui blasphèment le Seigneur, et sous les verges moi qui l’adore. « Dieu le sait-il ? » — Voilà ce qui l’ébranle, ce qui le fait presque tomber, ce qui lui fait croire que Dieu ne prend point souci des choses humaines.
5. Il nourrissait donc ces idées lorsque son cœur n’était pas droit encore, et frappé du contraste qu’il avait remarqué, il était porté à regarder comme vraisemblable que Dieu ne prenait point souci des choses humaines, il voulait le publier, le proclamer, l’enseigner hautement ; mais il en fut détourné par l’autorité et la doctrine des saints. Considérez ces paroles : « Quand je me disais : Je publierai cela », je proclamerai, j’enseignerai hautement aux hommes que Dieu ne prend aucun souci des choses humaines ; « quand » donc « je me disais : Je raconterai cela, j’ai reconnu que c’était réprouver la société de vos enfants. » Comment alors exécuter mon dessein ? Ce que je voulais affirmer ne l’a été ni par Moïse, ni par Abraham, ni par Isaac ou Jacob, ni par Jérémie, Isaïe ou tout autre prophète. Tous néanmoins sont vos enfants ; ce serait donc les condamner que de publier mon raisonnement.
6. Que faire alors ? « J’ai entrepris de découvrir la vérité ; » je l’ai entrepris, mais c’est une grande et difficile entreprise ; « c’est une entreprise laborieuse » de parvenir à connaître, d’un côté comment Dieu est juste et sait ce qui se passe au sein de l’humanité, de l’autre comment les méchants sont heureux et les bons quelquefois malheureux. Est-il juste qu’il en soit ainsi ? C’est ce que je voudrais comprendre et voilà devant moi une entreprise laborieuse.
7. Combien de temps a duré mon embarras : « Jusqu’à ce que je sois entré dans le sanctuaire de Dieu et que j’aie réfléchi aux fins dernières, Entre donc dans ce sanctuaire de Dieu, ô âme fidèle ; entre dans ce sanctuaire, ô âme pieuse, toi qui ne condamnes Dieu ni quand tu souffres ni quand prospèrent les méchants. Tu ignores peut-être le motif d’une telle disposition ? Crois néanmoins qu’il n’y a pas d’injustice dans ce que Dieu fait ou laisse faire. La raison humaine t’entraînait, que l’autorité divine te ramène et sois persuadée qu’il y a là quelque chose que tu ignores. Il faut en effet croire avec la plus entière certitude que Dieu n’est ni méchant ni injuste, et en entrant avec cette foi dans le sanctuaire de Dieu, en y entrant en croyant, tu arrives bientôt à comprendre. Le prophète continue effectivement « Jusqu’à ce que je sois entré dans le sanctuaire de Dieu », où pénètre la foi. Et cette foi, de quoi sera-t-elle suivie ? « Et jusqu’à ce que je comprenne les fins dernières. » Viendront en effet ces fins dernières, quand aucun homme de bien ne sera malheureux, ni aucun méchant heureux ; quand les hommes pieux seront discernés des impies, les justes des injustes, ceux qui louent Dieu de ceux qui le blasphèment ; quand enfin le discernement sera si parfait qu’aucun homme de bien ne sera malheureux ni aucun méchant heureux, comme il vient d’être dit. Mais pourquoi n’en est-il pas ainsi dès aujourd’hui ? Peut-être aujourd’hui même en est-il ainsi ; mais ce qui est aujourd’hui caché sera dévoilé alors.
8. Entre avec moi, si tu le peux, dans le sanctuaire de Dieu ; je parviendrai peut-être à te montrer, ou plutôt apprends avec moi de Celui qui m’instruit, que les méchants ne sont pas heureux et que les bons jouissent plus que les méchants, quoique la suprême félicité ne soit pas encore pour les bons, ni pour les méchants le châtiment suprême.
Comprends d’abord avec moi que les méchants ne sont pas heureux. Dis-moi en effet, je t’en prie, pourquoi tu n’es pas heureux ? Tu vas me répondre : C’est que je suis dans le besoin, je rencontre des difficultés, je souffre dans mon corps, j’ai à craindre de la part de mes ennemis. – Ainsi tu n’es pas heureux parce que tu as du mal à souffrir, et tu estimerais heureux celui qui est mal en lui-même ? N’y a-t-il pas une énorme différence entre souffrir le mal et être mal ? Tu n’es pas ce que tu souffres, puisque tu souffres le mal et que tu n’es pas mal ; oui tu souffres le mal sans être mal et le méchant ne souffre pas du mal quand il est mal en lui-même ? Ne t’abuse pas, ne te trompe pas : il n’est pas possible que tu sois, malheureux en souffrant le mal et que lui soit heureux quand il est mal en personne. Crois-tu qu’étant mal en lui-même il ne souffre pas le mal ? Eh ! ne se supporte-t-il pas ? Tu souffres quand un mal étranger te blesse au corps, et il ne souffrirait pas quand il sent dans son cœur le mal qu’il est lui-même ? Tu souffres d’avoir une mauvaise villa, et il ne souffrirait pas d’avoir l’âme mauvaise ?
Sois bon, toi qui possèdes du bien. Les richesses sont bonnes, l’or est bon, l’argent est bon, les grandes familles et les propriétés sont bonnes, tout cela est bon, mais pour faire du