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produisons sur vos sens si lui-même ne fait tout dans vos âmes ?
2. Rappelez-vous avec moi ce que nous a recommandé la première leçon du prophète. « Qu’offrir au Seigneur, dit-il, qui soit digne de lui ? » Cet homme cherchait donc par quel sacrifice il pourrait apaiser Dieu ou plaire à Dieu. « Fléchirai-je le genou devant le Dieu très-haut ? Le Seigneur s’apaisera-t-il par l’offrande de mille taureaux, et de dix mille chèvres engraissées ? Pour expier le péché de mon âme, lui présenterai-je le fruit de mes entrailles ? » Offrirai-je à mon Dieu mes premiers-nés pour expier mes fautes ? – « On te répond : O homme ! » Qui répond : O homme ! si ce n’est le créateur de l’homme ? O homme, qui cherche ce que tu dois donner à Dieu pour l’apaiser ou pour lui plaire, on te répond donc : « On te fait connaître ce qui est bien, ce que le Seigneur te demande : est-ce autre chose « que de pratiquer le jugement et la justice, d’aimer la miséricorde et d’être disposé à marcher avec le Seigneur ton Dieu[1] ? » Tu demandais ce que tu pourrais offrir pour toi : offre-toi. Est-ce autre chose en effet que le Seigneur exige de toi ? Et parmi toutes les créatures corporelles qu’y a-t-il de meilleur ? Or, s’il te redemande à toi-même, c’est que tu t’étais perdu, et si tu fais ce qu’il ordonne, il trouve en toi le jugement et la justice, le jugement à l’égard de toi-même et la justice à l’égard de ton prochain. En quoi consiste le jugement envers toi ? À n’aimer pas ce que tu étais afin de pouvoir devenir ce que tu, n’étais pas ; à te juger toi-même en toi-même, sans faire acception de ta personne, sans te pardonner tes fautes, sans les aimer parce qu’elles sont ton œuvre ; enfin à ne te pas glorifier du bien qui est en toi et à n’accuser pas Dieu des maux dont tu souffres. Sans quoi ton jugement serait dépravé, et par conséquent il ne serait pas un jugement. Pour nous montrer effectivement que le jugement dépravé n’est pas un jugement, Dieu ne dit pas : Le Seigneur demande-t-il de toi autre chose que de prononcer un jugement droit ? Il dit : que de prononcer le jugement. S’il est droit, ce sera un jugement véritable, s’il ne l’est pas, ce ne sera point un jugement mais un crime. Que faisais-tu donc quand tu te perdais, quand tu courais à la perdition, et que tu courrais sans retour ? Que faisais-tu ? Je le sais : Tu te glorifiais du bien qui était en toi, et tu blasphémais Dieu à cause des maux dont tu souffrais. C’est là un jugement injuste, et conséquemment, comme je l’ai dit, ce n’est pas un jugement. Veux-tu donc rendre ton jugement juste, en faire un jugement ? Il suffit de te corriger, de faire le contraire. Qu’est-ce à dire, de te corriger ? De louer Dieu de ce que tu as de bon, de t’accuser de tes maux. Si en effet tes défauts te déplaisent et que tu te corriges avec le secours de Celui qui t’a créé, tu seras un juste observateur de la justice. Tu aimeras Dieu si tu es juste ; à moins d’être mauvais et pervers tu ne t’écarteras point de la droiture, et si tu es droit tu aimeras ce qui l’est, d’où il suit que sans aucun doute tu aimeras Dieu, car lorsque tu ne l’aimais point, c’est ta perversité qui ne l’aimait point.
3. Écoute ce psaume sacré : « Que le Dieu d’Israël est bon à ceux qui ont le cœur droit ! » Trouvait-il rien de choquant en Dieu, celui qui parlait ainsi ? Loin de moi la pensée de l’accuser ! Mais je veux en croire son propre aveu. Prêtez l’oreille avec moi et considérez ce qu’il dit. « Que le Dieu d’Israël est bon ! » À qui ? « À ceux qui ont le cœur droit. » – « Pour moi, continue-t-il », quand je n’avais pas le cœur droit, « pour moi, mes pieds se sont presque égarés, mes pas ont chancelé.-Mes pieds se sont égarés, mes pas ont chancelé », c’est la même pensée, et en ajoutant le mot presque, il veut faire entendre qu’il a failli succomber, qu’il est presque tombé. Comment t’es-tu exposé à cet affreux péril ? « Parce que, dit-il, je me suis indigné contre les méchants en voyant la paix des impies », c’est-à-dire, en voyant les méchants heureux, j’ai chancelé devant Dieu, je me suis presque détaché de lui. Ainsi ce qui lui déplaisait en Dieu c’était le bonheur des méchants.
4. Considérez ce que dit en lui-même cet homme ébranlé, car c’est à lui que le psaume attribue les paroles suivantes : « Voilà que ces pécheurs se sont enrichis dans le siècle, et j’ai dit : « Dieu le sait-il ? » Ainsi s’exprime, ainsi parle cet homme qui avant de s’être redressé trouvait mauvais que Dieu comblât de prospérités les méchants. « Dieu le sait-il, le Très-Haut en a-t-il connaissance ? » Voyez de plus ce qu’il ajoute, voyez comment dans cette incertitude il est sur le point de tomber et de se perdre. Voici donc ce qu’il ajoute : « Serait-ce en vain que j’ai purifié mon cœur et lavé mes mains dans la société des innocents ? » J’ai perdu tout le fruit de ma bonne conduite. Pourquoi ai-je « purifié mon cœur et lavé mes mains dans la société des innocents ? » C’est donc pourvoir les méchants

  1. Mic. 6, 6, 8