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ce point là une indignité plus grande que tous les crimes dont il ne se corrige point ? « Tu as iniquement soupçonné que je te serai semblable. » Et après ? « Je t’accuserai [1]. » Pourquoi ? « J’ai gardé le silence, le garderai-je toujours ? Voilà donc, mes frères, ce que dit le Seigneur, ce qui m’effraie autant que vous. Tous en effet nous espérons en lui, et nous devons le craindre en même temps, car en l’offensant nous n’obtiendrions pas ce que nous espérons de lui, mais nous ressentirions sa justice méprisée. Ainsi écoutons-le comme ses brebis, tandis qu’il parle en gardant le silence, tandis qu’il nous avertit sans nous juger encore, tandis que nous pouvons écouter, lire même ce que nous dit Celui qui nous a créés.
6. « Pour vous, dit-il, mes brebis, voici ce que déclare le Seigneur Dieu. Je viens juger entre les brebis et les brebis, entre les béliers et les boucs. » Que font les boucs dans le troupeau de Dieu ? Ils vont aux mêmes pâturages et aux mêmes fontaines, destinés à être placés à la gauche ils sont mêlés à ceux de la droite, on les supporte avant de les éloigner : c’est pour exercer la patience des brebis et les former à l’image de la patience de Dieu. Un jour en effet il fera la grande séparation, mettant les uns à sa droite et les autres à sa gauche. Maintenant donc il se tait, et toi, tu veux parler ? Et de quoi veux-tu parler ? De ce qu’il garde sous silence, de la sentence du jugement et non des avertissements. Il ne fait pas la séparation, et tu veux la faire. Après avoir semé son champ il y supporte le mélange, et toi tu veux nettoyer le froment avant que soit venu le moment de vanner. N’est-ce pas te vanner misérablement toi-même ? Des serviteurs ont pu dire : « Voulez-vous que nous allions l’arracher ? » Indignés et attristés de voir l’ivraie mêlée au bon grain, ils ont demandé : « N’avez-vous pas semé de bon grain ? D’où vient donc cette ivraie ? » Le Père de famille en expliqua l’origine, mais il ne voulut point qu’on l’arrachât avant le temps déterminé. Tout fâchés qu’ils étaient, ces serviteurs demandèrent le conseil et l’ordre du Maître. Ils n’aimaient pas cette ivraie dans le champ, mais ils comprenaient aussi qu’en l’arrachant d’eux-mêmes, ils mériteraient de lui être comparés. Aussi attendirent-ils l’ordre du Maître, demandèrent-ils le consentement de leur Roi : « Voulez-vous que nous allions l’arracher ? Non, répondit celui-ci », et il en donna la raison : « c’est qu’en voulant arracher l’ivraie, vous pourriez aussi déraciner le froment. » De cette façon il apaisa leur colère et consola leur douleur. Ils souffraient de voir cette ivraie au milieu du froment, et c’était une chose vraiment regrettable. Mais autre chose est la destination du champ, autre chose le repos du grenier. Supporte donc, car tu es né pour cela ; supporte, car peut-être il a fallu te supporter aussi. As-tu toujours été bon ? Prends des sentiments de miséricorde. As-tu été quelque temps mauvais ? N’en perds pas le souvenir. Qui d’ailleurs a toujours été bon ? Ah ! si Dieu voulait t’examiner, il lui serait plus facile aujourd’hui même de te trouver mauvais, qu’à toi de te trouver toujours bon. Il faut donc souffrir l’ivraie au milieu du froment, les boucs parmi les béliers et les chevreaux parmi les brebis. Et le froment ? « Au temps de la moisson je dirai aux moissonneurs : Arrachez d’abord l’ivraie et liez-la en gerbes pour la brûler, mais le froment, rassemblez-le dans mon grenier. » Le mélange qu’on voit dans le champ disparaîtra donc, puis viendra le discernement de la moisson. Le Seigneur aujourd’hui nous commande la patience et il nous en donne l’exemple quand il dit : Si je voulais juger maintenant, le ferais-je injustement ? Si je voulais juger aujourd’hui, pourrais-je me tromper ? Or si je diffère de juger, moi qui juge toujours avec justice et sans pouvoir me tromper ; comment oses-tu juger si prématurément, toi qui ignores la sentence qui sera prononcée contre toi ? Considérez de plus, mes frères, comment malgré leur demande il ne permit pas à ses serviteurs d’arracher l’ivraie, même à l’époque de la moisson. « Au temps de la moisson, ajoute-t-il, je dirai aux moissonneurs. » Il ne dit pas : Je vous dirai. – Mais ses serviteurs ne seront-ils pas les moissonneurs ? – Non, car en expliquant les détails de la parabole, il dit : « Les « moissonneurs sont les anges. [2] » Homme environné de chair, chargé de chair et peut-être tout charnel, aussi charnel par l’âme que par le corps, tu oses donc usurper dès maintenant un ministère étranger qui plus tard même, à la moisson, ne te sera point confié ! Voilà pour la séparation de l’ivraie. Mais qu’est-il dit des boucs ? « Quand le Fils de l’homme viendra et tous les anges avec lui,

  1. Ps. 49, 21
  2. Mt. 13, 24-30, 37-43