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ton troupeau, où tu le fais reposer. Apprends-le-moi donc, afin que je ne sois pas comme une inconnue, comme une étrangère. Je suis connue, il est vrai, mais je pourrais tomber, comme une inconnue et une étrangère, au milieu des troupeaux de tes commensaux. – En effet tous les hérétiques ont été chrétiens ; avant d’être mauvais pasteurs et d’avoir au nom du Christ leurs troupeaux particuliers, ils étaient comme ses commensaux et mangeaient à sa table, ce que semble indiquer le terme latin qui les désigne ici. [1]. Entends d’ailleurs comment lui-même se plaint de ces méchants en les regardant comme ses convives. « Si mon ennemi m’avait outragé, dit-il, je l’aurais supporté ; s’il avait élevé ces graves accusations contre moi, je me serais facilement dérobé à ses poursuites. Mais toi, mon intime, mon familier, le chef de mes conseils, toi qui mangeais amicalement à ma table[2]. » Il y a donc beaucoup d’ingrats convives du Seigneur qui l’ont quitté, beaucoup de méchants qui ont voulu avoir leur table à part, qui ont dressé autel contre autel. C’est parmi eux que l’Épouse craint de s’égarer.
31. Tu crois peut-être que le mot midi désigne ici l’Afrique. Je pourrais démontrer que le midi dans le monde est plutôt l’Égypte et ces régions dévorées du soleil qui ne connaissent pas la pluie ; c’est en effet au moment de midi, au milieu du jour que la chaleur se fait le plus vivement sentir. Or dans ces mêmes pays le désert est rempli, par milliers, de serviteurs de Dieu. Si donc nous voulions prendre l’expression de midi pour une expression de lieu, pourquoi ne dirions-nous pas plutôt que c’est dans ces régions que l’Époux conduit son troupeau et le fait reposer ? N’a-t-il pas été prédit que « le désert sera fertile[3] ? » Mais j’y consens, par midi entendons l’Afrique. Il y a donc en Afrique de mauvais serviteurs du Christ. Supposons maintenant que représentée par quelqu’un de ses enfants qui fait voile vers l’Afrique, l’Église d’outre-mer craigne de s’égarer ; elle implore son Époux et lui dit : J’apprends qu’il y a en Afrique un grand nombre d’hérétiques, des rebaptisants en grand nombre ; j’apprends aussi que vous y comptez des, serviteurs fidèles : voilà deux choses qu’on me, dit, mais je veux savoir de vous-même quels sont vos serviteurs. « Vous que chérit mon âme, apprenez-moi où vous conduisez votre troupeau, où vous le faites reposer au midi ; » dans cette région méridionale où il y a, dit-on, deux partis, le parti de Donat et le parti qui demeure uni à tout votre univers. Dites-moi où je dois aller, « dans la crainte que je ne sois comme une inconnue autour des troupeaux de vos commensaux », que je ne me jette au milieu des troupeaux d’hérétiques essayant de placer l’une sur l’autre des pierres qui s’écrouleront, que je ne m’égare au milieu des rebaptisants. L’Époux ne veut qu’un seul pasteur, puisqu’il a dit dans le texte que nous expliquons : « C’est moi qui ferai paître ; » et il réprouve ces pasteurs qui ont cherché à se multiplier au détriment de l’unité. Il répond donc, non pas d’un ton doux, mais d’un ton sévère et proportionné à la gravité du péril : « Si tu ne te connais toi-même, ô la plus belle des femmes. » Tu es la plus belle des femmes, mais connais-toi. Où te connaîtras-tu ? Dans tout l’univers ; car si tu es belle, il y a en toi unité, la division produisant la laideur, et non la beauté. « Si tu ne te connais toi-même. » Tu as cru en moi ; connais-toi. Comment as-tu cru, en moi ? Comme y ont cru ces mauvais serviteurs ; ils accordent que le Verbe s’est fait chair, qu’il est né d’une vierge, qu’il a été crucifié, qu’il est ressuscité, qu’il est monté aux cieux : ne crois-tu pas ces vérités qu’ils publient ? Connais-toi et connais-moi, moi dans le ciel et toi dans tout l’univers. Le Christ parle donc à un membre de l’Église comme à l’Église même. Comment en effet l’Église pourrait-elle chercher l’Église ? Je me mets à leur point de vue. « Toi que chérit mon âme, apprends-moi où tu conduis ton troupeau, où tu le fais reposer. » Que cherche ici l’Épouse ? Elle cherche l’Église. Et comme, pour lui montrer cette Église, l’Époux répondrait, d’après eux : « Au midi. » Qu’ils me disent maintenant comment l’Église cherche l’Église. « Toi que chérit mon âme, apprends-moi. » Qui parle ainsi ? L’Église. Que demande-t-elle à, savoir ? « Où est conduit le troupeau, où il repose », en d’autres termes, où est l’Église. Ainsi l’Église demande où est l’Église, et l’Époux, estiment les Donatistes, répond qu’elle est au midi. Or si l’Église n’est qu’au midi, en Afrique comme ils prétendent, comment peut-elle demander elle-même où elle est ? N’est-ce pas plutôt une portion de l’Église d’outre-mer qui demande à ne pas s’égarer dans le midi ? Le Christ alors s’adresse à chacun des membres de son Église comme à l’Église elle-même : « Si tu ne te connais toi-même ; ô la plus belle des femmes,

  1. Sodales, quasi simul edales eo quod simul edant
  2. Ps. 54, 13-16
  3. Jl. 2, 22