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Le Seigneur menace de la mort les impies, les débauchés, les trompeurs, les scélérats, les adultères, les chercheurs de plaisirs, les contempteurs d’eux-mêmes, ceux qui se plaignent des temps sans changer de mœurs ; le Seigneur les menace de la mort, il les menace de la géhenne, il les menace de la ruine éternelle. Pourquoi veulent-ils que je leur promette ce que Dieu ne promet point ? En vain le régisseur te laisse en paix : quel, service te rend-il si le père de famille n’y consent pas ? Je suis ici régisseur, serviteur moi-même. Tu veux que e te dise : Vis à ta fantaisie et Dieu ne te perdra point ? Ce serait une assurance de régisseur, assurance inutile. Ah ! mieux vaudrait qu’elle te vînt du Seigneur et que l’inquiétude vint de moi. L’assurance du Seigneur aurait son effet malgré moi ; la mienne serait sans valeur malgré lui. Or, mes frères, quelle peut être ma sécurité ou la vôtre, sinon d’écouter avec attention et avec soin les ordres du Seigneur et d’attendre ses promesses avec confiance ? Ce travail nous fatigue, parce que nous sommes hommes : donc implorons son secours, élevons jusqu’à lui nos gémissements. Ne prions pas pour obtenir les biens du siècle qui passent, qui fuient, qui s’évanouissent comme une vapeur ; prions pour obtenir l’accomplissement de la justice et la sainteté au nom du Seigneur ; non pour la défaite d’un voisin, mais pour la défaite de la cupidité ; non pour la guérison du corps, mais pour la ruine de l’avarice. Prions ainsi ; la prière alors nous fortifiera intérieurement dans la lutte et nous couronnera dans la victoire.



SERMON XLI. FIDÉLITÉ DANS LA PAUVRETÉ.[1].

ANALYSE. – S. Augustin entreprend d’expliquer ici le sens profond de ces paroles : « Sois fidèle avec ton prochain dans sa pauvreté, afin que tu jouisses aussi de son bonheur. » Après avoir reconnu qu’abandonner un ami tombé dans l’indigence, c est témoigner qu’on aimait ses richesses plus que sa personne, le grand Docteur demande si le but de la fidélité à lui garder doit être de pouvoir partager sa fortune lorsqu’il l’aura recouvrée. Évidemment l’amitié alors ne serait point pure. Il faut donc chercher ici une signification plus profonde et plus chrétienne. Or, comme on peut le voir dans l’histoire du mauvais riche, garder la fidélité avec son prochain dans la pauvreté, c’est partager la foi des pauvres afin de jouir de leur bonheur, d’être reçu par eux dans les tabernacles éternels ; c’est aussi demeurer fidèle au Christ dans ses humiliations, afin d’être par lui associé à sa félicité suprême.


1. Quand on lisait dans les divines Écritures ces maximes que maintenant nous ne saurions toutes expliquer, j’ai remarqué une pensée aussi brièvement exprimée qu’elle est vaste par le sens qu’elle renferme ; et pour répondre avec l’aide du Seigneur et dans l’étroite mesure de mes forces, à la vive attente de votre charité, j’ai pris la résolution de m’y arrêter, et de la tirer pour votre profit du cellier divin oit je puise avec vous ma nourriture. Voici donc quelle est cette pensée : « Sois fidèle avec ton prochain dans sa pauvreté, afin de jouir aussi de son bonheur. » Prenons-la d’abord simplement dans le sens littéral qu’elle parait présenter, comme peuvent l’entendre tous les esprits, ceux mêmes qui ne creusent jamais les profondeurs des Écritures divines. « Sois fidèle avec ton prochain dans sa pauvreté, afin de jouir aussi de soit bonheur. » Rien n’est plus vrai, dit celui qui se contente d’écouter : quand un ami est pauvre, il ne faut pas lui manquer de foi, mais lui demeurer fidèle ; l’amitié ne doit pas changer avec la fortune, mais la bonne volonté doit s’affermir et la foi se garder. S’il était mon ami quand il était riche et que dans sa pauvreté il ne le soit plus, c’est que j’aimais son opulence et non sa personne. Si au contraire je l’aimais lui-même, malgré les vicissitudes de la fortune n’est-il pas toujours lui ? Pourquoi donc ne serait-il pas encore pion ami ? S’il a perdu son or, il n’a pas perdu son cœur. J’achète un cheval, je lui ôte ses parures et ses harnais, perd-il sa valeur pour cela ? J’aimais mon ami quand il était orné et maintenant qu’il est dépouillé je le dédaigne ? Elle est donc bonne, elle est salutaire, elle est parfaitement convenable aux besoins de l’humanité, cette, sentence de l’Écriture :

  1. Sir. 22, 23