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5. Ainsi confions-nous à Lui, mes frères ; c’est notre premier devoir. Oui le premier acte de notre religion et de notre vie doit être de tenir, notre cœur affermi dans la confiance, et par cette confiance de bien vivre, de nous abstenir des séductions et de supporter les afflictions du temps ; de demeurer invincibles à leurs caresses et à leurs menaces, pour ne point nous laisser aller aux unes et pour ne nous briser pas contre les autres. Ainsi donc avec la tempérance et la patience, nous posséderons tous les biens sans aucun mélange de maux, lorsque les biens temporels auront cessé et qu’il n’y aura plus de maux à craindre.

C’est pourquoi il était dit dans la lecture : « Mon fils, quand tu t’approches du service de Dieu, demeure dans la justice et dans la crainte, et prépare ton âme à la tentation. Réprime ton cœur et souffre afin que ta vie croisse aux derniers jours. » — « Afin que ta vie croisse aux derniers jours ; » et non pas maintenant. Et de combien croîtra-t-elle, pensons-nous ? Jusqu’à devenir éternelle. Aujourd’hui en effet la vie humaine en s’allongeant ou en paraissant s’allonger, décroît plutôt qu’elle ne croit. Examinez et voyez, raisonnez et comprenez qu’elle décroît. Un homme vient de naître, c’est un exemple ; Dieu lui donne, soixante-dix ans de vie. Il avance en âge et nous disons qu’il avance dans la vie. Mais avance-t-il ou recule-t-il ? Sur soixante-dix ans il en a vécu soixante, il lui en reste dix ; quelle diminution de la somme ! et plus il vit, moins il lui en reste. Donc en croissant ta vie décroît, plutôt qu’elle ne croit. Ah ! tiens ferme aux promesses de Dieu, « afin que » cette « vie croisse aux derniers jours. »

6. Ce qui suit n’a pas été lu : « Accepte tout ce qui t’arrive, demeure en paix dans la douleur et pendant ton humiliation garde la patience ; car l’or et l’argent s’épurent par la flamme et les hommes agréables à Dieu, dans le creuset de l’humiliation [1]. » Tu trouves cette épreuve difficile et tu succombes. Mais ne perds-tu point ce qui dure toujours ? Combien d’hommes souffrent beaucoup pour l’argent qui passe, et tu ne veux pas souffrir pour la vie qui demeure ? Tu refuses de travailler en vue des divines promesses ; refuses-tu de le faire quand il s’agit de tes passions ? Que n’endurent pas les voleurs pour leurs injustices ? Que n’endurent pas les scélérats pour leurs crimes, les débauchés pour leurs désordres, et pour, leur avarice les marchands qui passent les mers, qui jettent aux tempêtes et leur corps et leur âme, qui laissent ce qu’ils possèdent pour courir à l’inconnu ? L’exil est un châtiment quand le juge y condamne ; il devient un sujet de joie quand il est commandé par l’avarice. L’avarice ne pourrait-elle exiger de toi ce que la sagesse t’ordonne de plus difficile ? Tu le fais toutefois pour obéir à l’avarice, et après l’avoir fait qu’obtiendras-tu en retour ? — Une maison remplie d’or et d’argent. Mais n’as-tu pas lu : « L’homme passe comme une ombre, cependant il s’agite en vain ; il amasse des trésors et il ne sait pourquoi. » Pourquoi donc as-tu chanté : « Seigneur, ne soyez pas sourd à mes sanglots [2] ? » Pourquoi es-tu sourd à ses paroles quand tu veux qu’il ne le soit pas à tes gémissements ? Condamne ton avarice et il t’appellera à sa sagesse. Mais le joug de la sagesse ne te paraîtra-t-il point difficile à supporter ? Soit ; mais ne perds pas de vue le but, la récompense. Si tu amasses des trésors avec la sagesse, ne sais-tu pour qui ? N’est-ce pas pour toi ? Réveille-toi, courage ! aies au moins l’intelligence de la fourmi[3]. Voici l’été, fais des provisions pour l’hiver. Cherche aux beaux jours ce qui te soutiendra durant les jours mauvais. Voici les beaux jours, tu es en été : ne sois pas indolent, recueille les grains laissés sur l’aire du Seigneur, écoute la parole de Dieu dans l’Église de Dieu ; et cache-la dans ton cœur. Oui, tu es aux beaux jours ; mais viendront pour toi les mauvais. Tout homme doit s’attendre aux tribulations ; posséda-t-il tous les biens de la terre, il faut au moins qu’il Ira verse les angoisses de la mort pour arriver à une autre vie. Quel homme pourrait dire : Je suis heureux, et je ne mourrai pas ?

7. Et si tu aimes la vie, si tu crains la mort, cette crainte même de la mort n’est-elle pas un hiver de chaque jour ? N’est-ce pas au moment de la prospérité que la crainte de la mort affecte plus vivement, puisqu’au moment de l’adversité nous ne redoutons pas la mort ? Aussi ce riche qui était si satisfait de ses richesses, car il possédait de nombreux trésors et de vastes domaines, était, je crois, troublé par la peur de la mort, et cette mort le desséchait au milieu des délices. Il faudrait, se disait-il, abandonner ces biens, il les avait amassés et ne savait pour qui. Il aurait voulu des biens éternels, il vint

  1. Sir. 2,1-5
  2. Psa. 38,7, 13
  3. Pro. 6,6