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quand apparaît un bélier arrêté par les cornes dans un buisson et qu’on l’égorge pour consommer le sacrifice ; quand après ce grand acte, il est dit à Abraham : « Je multiplierai ta postérité comme les étoiles du ciel et comme le sable de la mer ; et ta race possédera les cités de tes ennemis ; et toutes les nations de la terre seront bénies en celui qui sortira de toi ; parce que tu as obéi à ma parole[1]. » Vois donc à quel moment cette promesse s’accomplit et à quel moment elle fut rappelée. C’est au moment où le divin Bélier s’écria : « Ils m’ont percé les pieds et les mains, » et le reste. Et au moment où se consommait le sacrifice marqué dans ce psaume, on disait en récitant ce même psaume : « Toutes les extrémités de la terre se souviendront et se convertiront au Seigneur, toutes les nations se prosterneront devant lui ; car à lui appartient l’empire et il régnera sur les peuples[2]. » Ils se souviendront, est-il dit : ainsi le fait dont nous sommes aujourd’hui témoins, avait été prédit auparavant.

9. Voyons donc comment s’est accomplie, par quel moyen et à la suite de quel sacrifice s’est accomplie cette promesse adressée à Abraham : « Toutes les nations seront bénies en celui qui sortira de toi. » Heureuses les nations qui n’ont pas entendu et qui croient, maintenant qu’elles le lisent, ce que crut le patriarche en l’entendant ! Car « Abraham crut à Dieu, ce qui lui fut imputé à justice, et il fut appelé ami de Dieu[3]. » Quand il crut à Dieu dans son cœur, c’était seulement de la foi ; et quand il conduisit son fils à l’autel, quand sans trembler il arma son bras, quand il frappait s’il n’eût été retenu par la voix du ciel, c’était en même temps une grande foi et une grande œuvre ; une œuvre qui fut louée de Dieu même : « Tu as, dit-il, obéi à ma parole. » Pourquoi donc l’Apôtre Paul dit-il d’un côté « Nous estimons que l’homme est justifié par la foi sans les œuvres de la loi, [4] » et de l’autre « La foi opère par la charité[5] ? » Comment est-il possible que la foi agisse par l’amour et qu’en même temps l’homme soit justifié par la foi sans les œuvres de la loi ? Comment, mes frères ? soyez attentifs. Un homme croit, il reçoit sur sa couche les sacrements de la foi et il meurt, sans avoir eu le temps d’agir. Que disons-nous alors ? Qu’il n’est pas justifié ? Nous croyons au contraire qu’il est justifié, puisqu’il croit en Celui qui justifie l’impie[6]. Il a donc été justifié sans avoir agi et on voit s’accomplir en lui cette sentence de l’Apôtre. « Nous estimons que l’homme est justifié par la foi sans les œuvres de la loi. » Ainsi le larron crucifié avec le Seigneur crut de cœur pour la justice et confessa de bouche pour le salut[7]. Car si la foi agissant par la charité ne peut s’exercer à l’extérieur, elle échauffe néanmoins le cœur et s’y conserve.

Il y avait sous la loi des hommes qui se glorifiaient des œuvres de la loi, accomplies peut-être par crainte et non par amour ; et ils voulaient pour ce motif passer pour justes et être préférés aux Gentils qui n’avaient pas vécu selon la loi. Mais l’Apôtre qui prêchait la foi aux Gentils vit justifiés par la foi ceux qui se convertissaient au Seigneur ; il vit qu’ils faisaient le bien après avoir cru, sans avoir mérité de croire en le faisant, et il s’écria avec sécurité : « L’homme peut être justifié par la foi sans les œuvres de la loi. » Ainsi les justes n’étaient pas selon lui ceux qui agissaient par crainte, car c’est dans le cœur que la foi agit par l’amour, lors même qu’elle ne se traduit point extérieurement par des œuvres.

  1. Gen. 22, 17-18
  2. Psa. 21, 17, 28, 29
  3. Jac. 2, 23
  4. Rom. 3, 28
  5. Gal. 5, 6
  6. Rom. 4, 6
  7. Heb. 10, 10