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nos cœurs » Par qui ? Serait-ce par nous ? Non. Par qui donc ? « Par l’Esprit-Saint qui nous a été donné [1]. »
3. Après un témoignage aussi digne de foi, aimons Dieu par Dieu ; oui, puisque le Saint-Esprit est Dieu, aimons Dieu par Dieu. Que puis-je dire de plus ? Aimons Dieu par Dieu. Je l’ai dit : « L’amour de Dieu a été répandu dans nos « cœurs par l’Esprit-Saint, qui nous a été donné ; » donc, et c’est une conséquence rigoureuse, puisque l’Esprit-Saint est Dieu et que nous ne pouvons aimer Dieu que par l’Esprit-Saint, aimons Dieu par Dieu. Encore une fois, n’est-ce pas une conséquence légitime ? Mais entendez plus explicitement Jean lui-même. « Dieu est charité ; et qui demeure dans la charité demeure en Dieu, et Dieu en lui[2]. » C’est peu de dire : La charité vient de Dieu. Qui de nous oserait faire cette autre assertion : « Dieu est charité ? » Elle vient d’un homme qui connaissait ce qu’il possédait. – Pourquoi donc l’imagination humaine, pourquoi l’esprit volage cherche-t-il à se représenter Dieu et se fabrique-t-il une idole dans son cœur ? Pourquoi se le figure-t-il comme son imagination se le peut former, et non comme il a mérité de le posséder ? Est-ce là Dieu ? Non, le voici. Pourquoi cette esquisse ? Pourquoi ces membres ? Pourquoi cette attitude qui te charme ? Pourquoi cette beauté corporelle ? « Dieu est charité. » Quelle couleur a la charité ? Quelles lignes ? Quelle figure ? Nous ne voyons rien de tout cela ; et cependant nous aimons.
4. J’oserai m’expliquer devant votre charité voyons en bas pour découvrir en haut. L’amour bas et terrestre lui-même, l’amour souillé et corrompu qui s’attache aux beautés corporelles, nous fournit le moyen de nous élever à des considérations plus hautes et plus pures. Un débauché aime une belle femme : sans doute il est excité par la beauté extérieure, mais, il cherche au dedans un retour d’affection. S’il vient à apprendre que cette femme le hait, à l’instant même toute son ardeur pour ce corps charmant ne se refroidit-elle pas ? Il se détourne de ce qu’il recherchait d’abord, il s’en offense et commence même à haïr ce que d’abord il aimait. Mais les formes sont-elles changées ? Tout ce qui le séduisait n’y est-il pas encore ? Oui ; mais s’il était passionné pour ce qu’il voyait, il exigeait du cœur ce qu’il ne voyait pas. Connaît-il au contraire que son amour est payé de retour ? Comme il aime avec plus d’ardeur ! Il voit cette femme, cette femme le voit, personne ne voit l’amour ; c’est néanmoins cet invisible amour que l’on aime.
5. Élevez-vous au-dessus de cette passion fangeuse et demeurez dans la pure et lumineuse charité. Tu ne vois pas Dieu ; aime-le et tu le possèdes. Combien les passions coupables n’aiment-elles point de choses sans les posséder ? Elles les recherchent avec une sordide avidité sans pouvoir se les procurer sur le champ. Suffit-il d’aimer l’or pour avoir de l’or ? Beaucoup l’aiment et n’en ont pas. Suffit-il, pour les avoir, d’aimer les grands et riches domaines ! Beaucoup les aiment et n’en ont pas. Aimer l’honneur est-ce l’avoir ? Beaucoup n’en ont pas, et le désirent avec un amour brûlant ; ils le cherchent et meurent souvent avant de l’avoir trouvé. Ah ! Dieu se donne à nous plus parfaitement. Aimez-moi, dit-il, et vous me posséderez ; car vous ne pouvez m’aimer sans me posséder.
6. O mes frères, ô mes enfants, ô enfants catholiques, ô saintes et célestes plantes, ô vous qui êtes régénérés dans le Christ et nés dans le ciel, écoutez-moi, ou plutôt « chantez avec moi le cantique nouveau. » Oui, dis-tu, je chante. Tu chantes, c’est vrai. Je l’entends : mais que ta vie ne contredise pas ta voix. Chantez de la voix, chantez du cœur, chantez de la bouche, chantez par la conduite:« Chantez au Seigneur un cantique nouveau. » Vous cherchez quelques louanges ! « Sa louange est dans l’assemblée des saints. » Le chantre lui-même est le sujet de cette louange. Vous voulez chanter les louanges de Dieu ? Soyez ce que vous voulez exprimer. Oui, vous êtes sa gloire si votre vie est bonne. Sa louange n’est pas dans les synagogues des Juifs ; elle n’est point au milieu des folies païennes ; elle n’est point dans les erreurs des hérétiques ; elle n’est point dans les applaudissements du théâtre. Où donc est-elle ! Considérez-vous, soyez-la vous-mêmes. « Sa louange est, dans l’assemblée des « saints. » Et si tu cherches en chantant un sujet de joie. « Qu’Israël se réjouisse en Celui qui l’a formé. » Israël ne trouve à se réjouir qu’en Dieu.
7. Interrogez-vous avec soin, mes frères ; visitez le sanctuaire intérieur ; considérez attentivement ce que vous possédez de charité, et augmentez ce que vous en aurez découvert. Ayez l’œil sur ce trésor et devenez riches intérieurement.

  1. Rom. 5, 16
  2. 1 Jn. 5, 16