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obstacles qui te retiennent ici, et tu t’attacheras intimement à Dieu après lui avoir déjà donné ta confiance et t’être uni à lui par les liens de la charité.
17. C’est pourquoi les Psaumes comparent avec beaucoup d’élégance l’homme méchant à « un rasoir tranchant qu’aiguise la fraude[1]. » C’est ainsi que le méprise l’Esprit-Saint. Que considère-t-il ici dans le rasoir ? Non pas qu’il peut servir à donner la mort aux hommes, mais à quel usage il est naturellement destiné. Or il est destiné à raser les cheveux. Qu’y a-t-il dans le corps d’aussi superflu que les cheveux ? Et c’est pour couper des cheveux qu’on aiguise le rasoir avec tant de soin, et tant d’ardeur, tant de précautions et une attention si grande ? Ainsi le méchant se tire à l’écart, il pense, il médite, il pense encore, il entasse fraudes sur fraudes, il cherche des artifices, il se prépare des aides, il quête de faux témoins, il aiguise son rasoir contre le juste. Et pourquoi ? Pour le dépouiller de ce qui est en lui superflu !
18. Voulez-vous donc, mes frères, vous disposer à suivre la volonté de Dieu ? Nous vous engageons, nous nous y excitons nous-mêmes, ou plutôt nous y sommes excités par Celui qui peut nous y exciter sans crainte. Voulons-nous donc nous disposer à suivre la volonté de Dieu ? N’aimons point ce qui passe, ne regardons point comme étant le bonheur ce qui en porte le nom dans ce siècle. Les Philistins avaient ces idées ; ils mettaient leur bonheur dans les choses du temps, ils mettaient leurs jouissances dans des ombres et non dans la lumière ni dans la vérité. Aussi considérez comment se termine le Psaume « à Goliath » ; il s’exprime en termes fort clairs, il n’y a aucune difficulté et il ne faut ni interprète ni commentateur. Par la miséricorde de Dieu tout y est si lucide, qu’on ne peut direIl l’a expliqué comme il a voulu, il l’a commenté selon ses idées, il a pensé ce qu’il lui a plu ; personne ne peut ici alléguer ces prétextes. Or celui qui parle c’est David, David la vie nouvelle, la vie du Christ, la vie qui nous a été communiquée par le Christ. Il s’exprime avec dédain pour la vie ancienne, la vieille félicité des hommes, pour ceux qui y 'mettent leur espérance, ceux qui y parviennent et ceux qui y mettent leur joie.
19. Dans ce siècle en effet les justes paraissent souffrir et les injustes vivre heureux. Comme si Dieu sommeillait et négligeait les choses humaines, les méchants s’exaltent souvent pour n’être point châtiés, et souvent les bons sont brisés par l’infirmité ; parce qu’ils ne possèdent pas les biens dont paraissent regorger les pécheurs, les hommes impies et cruels, ils s’imaginent n’avoir aucun avantage à pratiquer la vertu. Mais plus ils considèrent comme importants ces biens qu’ils demandent à Dieu, plus ils s’égarent, et plus il faut prendre soin de ne pas les livrer à la tyrannie de leur cupidité, selon cette expression : « Dieu les abandonna aux convoitises de leur cœur [2]. » Aussi Dieu se montre d’autant plus propice qu’il exauce la demande de ces choses vaines et superflues, non pour les donner, mais pour guérir en les refusant. Qui ne voit en effet pourquoi on les recherche, pourquoi on prie Dieu de les donner ? N’est-ce pas afin de les consumer dans la débauche, dans les frivolités et dans les plus extravagants spectacles ?
20. Suppose un homme du siècle qui demande à Dieu des richesses et qui les obtient quels dangers mortels en naissent pour lui ! Il s’en sert pour opprimer le pauvre, pour s’élever, tout poussière qu’il est, au-dessus de son égal, pour mendier de vains honneurs, pour donner, afin de les obtenir, des divertissements lascifs et dissolus, pour acheter des jeux et des ours et enrichir des bestiaires, pendant que le Christ souffre la faim dans la personne des pauvres. Qu’est-il besoin de développer davantage, mes frères ? Songez vous-mêmes à ce que nous ne disons pas, aux maux immenses que produisent les biens superflus aux mains de ceux qui les possèdent en abondance. Et puisque l’homme peut malheureusement faire un si triste usage de l’opulence, ne vaut-il pas mieux que Dieu l’en dépouille, ne lui en fasse pas don ? Cette conduite n’est-elle pas miséricordieuse ?
21. On dira : J’ai fait le bien, je n’ai rien dérobé, et vous ne m’avez pas exaucé ! Je donne à l’indigent une partie de ce que je possède, je n’enlève rien à autrui ; je vous en prie, accordez-moi. – Mais peut-il te donner une villa sans qu’un aucun autre la perde ? Que l’on vienne à te dire : Vends ta villa ; tu frémis comme à un outrage, tu crois que l’on t’injurie, et dans le cœur tu gardes du ressentiment contre celui qui t’a invité à vendre ta villa. Mais peux-tu en acheter une sans qu’un autre la vende ; Si donc il est mal de vendre, en désirant, en souhaitant d’acheter, tu cherches le mal d’autrui. Tu crois

  1. Ps. 51, 4
  2. Ps. 83, 13