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sommes-nous toutefois quand.nousdisputons contre la grâce ? Mais enfin j’admets que nous soyons fidèles : oui, même fidèles, même justes, puisque le juste vit de la foi ; [1] « c’est lui-même qui nous a faits, ce n’est pas nous. » Je te demande : Que nous a-t-il faits ? hommes, réponds-tu. Ce n’est pas de cela qu’il est question dans le psaume ; car nous savons cela, c’est chose connue, manifeste, et pour connaître que Dieu nous a faits hommes, nous n’avions pas besoin de grand enseignement. Vois de quoi parlait le Psalmiste : « C’est lui qui nous a faits, ce n’est pas nous. » Que nous a-t-il faits, sinon ce que nous sommes ? Or, que sommes-nous ? « Pour nous », dit-il. Voici donc ce que nous sommes. Quoi ? « nous sommes son peuple et les brebis de ses pâturages. » C’est lui qui nous a faits son peuple, c’est lui qui nous a faits les brebis de ses pâturages. Il a envoyé à l’immolation une innocente brebis, et il a changé les loups en brebis. Voilà la grâce. Sans parler de cette grâce commune de la nature qui nous a faits hommes et que nous ne méritions point, puisque nous n’existions pas ; sans parler, dis-je de cette grâce, la plus grande grâce est celle qui, par Jésus-Christ Notre-Seigneur, nous a faits « son peuple et les brebis de ses pâturages. »
6. Mais, dit-on : C’est par Jésus-Christ aussi que nous avons été faits hommes. Sans doute ; n’est-ce pas aussi par lui qu’ont été faits les païens ? Jésus-Christ les a créés, non pour qu’ils fussent des païens, mais pour qu’ils fussent des hommes. Qu’est-ce en effet que Jésus-Christ ? N’est-ce pas celui dont il est écrit : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ; dès le commencement il était en Dieu ; tout a été fait par lui\x + \1Jn. 1, 1-3]]</ref> ? » A lui donc aussi les païens sont redevables de leur nature humaine ; et ils sont d’autant plus dignes de châtiments qu’ils ont abandonné Celui qui les a faits pour adorer leurs propres œuvres.
7. Sans parler donc de cette grâce qui a formé la nature humaine et qui est commune aux Chrétiens et aux païens, la plus grande pour nous n’est pas d’avoir été créés hommes par le Verbe, mais d’avoir été rendus fidèles par le Verbe fait chair. En effet il n’y a qu’un Dieu et qu’un seul médiateur de Dieu et des hommes, Jésus-Christ homme. Au commencement était le Verbe ; Jésus-Christ n’était pas homme encore, et le Verbe était en Dieu et le Verbe était Dieu. Le monde lui-même n’existait pas encore, quand le Verbe était Dieu. Tout a été fait par lui, par lui le monde a été fait. Aussi quand il nous a faits hommes, il n’était pas homme encore. Cette grâce qui nous a rendus fidèles est surtout recommandée aux Chrétiens dans ces paroles de l’Apôtre : « Il n’y a qu’un Dieu et qu’un seul médiateur de Dieu et des hommes, Jésus-Christ homme [2]. »
Remarquez, il ne se contente pas de dire : Jésus-Christ ; pour éloigner de vous l’idée qu’il le considère seulement comme Verbe, il ajoute : homme : « Un seul médiateur de Dieu et des hommes, Jésus-Christ homme. » Qu’est-ce qu’un médiateur ? Celui qui nous réunit, qui nous réconcilie. Séparés de Dieu par nos propres péchés, nous étions tombés, abattus sous le poids de la mort, perdus entièrement. Quand l’homme a été créé, le Christ n’était pas homme ; il s’est fait homme pour empêcher la perte de l’homme.
8. Nous vous parlons souvent ainsi contre cette nouvelle hérésie qui essaie de lever la tète : ce qui nous y force, c’est que nous voulons que vous soyez fermes dans le bien et préservés entièrement du mal. Quand ils ont commencé à se montrer, et à disputer contre la grâce, accordant trop, non pas à la liberté mais à la faiblesse humaine et n’exaltant la misère de l’homme que pour l’empêcher de se relever en s’attachant à la main divine qui lui est tendue d’en haut ; quand donc ils ont soutenu le libre arbitre contre la grâce, ils ont offensé les oreilles pieuses et catholiques. On commença à les avoir en horreur, à les éviter comme une contagion et à dire d’eux qu’ils s’élevaient contre la grâce. Or voici le moyen menteur qu’ils employèrent pour détourner ces accusations : Je ne dispute pas contre la grâce de Dieu, dirent-ils – Comment ? Ce qui le prouve, c’est que je défends le libre arbitre. – Voyez l’aiguille, mais elle est de verre ; elle n’a qu’un faux éclat, la vérité la brise. Considérez en effet combien ce moyen est perfidement imaginé. Je ne puis, disent-ils, défendre le libre arbitre de l’homme ni soutenir qu’il suffit pour me rendre juste, sans défendre aussi la grâce de Dieu. – Les oreilles religieuses se dressent alors, on commence à se réjouir, on remercie Dieu. Ils ne défendent pas, disent-ils, le libre arbitre sans défendre la grâce de Dieu. Sans doute, nous avons le libre arbitre ; mais que peut-il sans la grâce ? – Pourtant s’ils défendent la grâce en défendant le libre arbitre,

  1. Rom. 1, 17
  2. 1 Tim. 2, 5