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mais en se proposant une autre fin, celle qui doit attirer des cœurs libres, je veux dire la charité qui espère obtenir par là et qui attend avec foi les récompenses éternelles. Ainsi on n’imitera pas les Juifs qui étaient contraints à les accomplir, non par cette crainte chaste qui subsiste dans les siècles des siècles[1], mais par cette autre crainte qui s’arrête à la vie présente. Aussi observaient-ils de la Loi les préceptes cérémoniels sans pouvoir en accomplir les préceptes moraux : la charité seule en est capable. En effet ne pas tuer un homme pour n’être pas mis à mort soi-même, ce n’est pas accomplir le précepte de justice ; l’accomplir, c’est ne pas tuer parce qu’il y aurait injustice à le faire, lors même qu’on le pourrait impunément devant les hommes et devant Dieu même. C’est ainsi que la divine Providence ayant livré le roi Saül aux mains de David, celui-ci aurait pu le mettre à mort sans encourir ni la vengeance des hommes, qui l’aimaient beaucoup, ni la vengeance de Dieu, qui lui, avait promis de le faire tomber sous sa main, pour qu’il le traitât comme il lui plairait[2]. Mais David l’épargna, parce qu’il aimait son prochain comme lui-même, et parce que tout persécuté qu’il eût été par lui et qu’ildûtl'être encore, il aimait mieux qu’il se corrigeât que de le mettre à mort : contemporain de l’ancien Testament sans en être le disciple, ce grand homme avait claire et profonde la foi au futur héritage du Christ, du Christ que cette même foi le portait à imiter. Aussi l’Apôtre dit-il aujourd’hui : « Vous avez été appelés à la liberté, mes frères ; seulement ne faites pas de cette liberté une occasion pour la chair ; » en d’autres termes, ne vous figurez pas, en entendant ce mot de liberté, que vous pourrez pécher impunément. « Mais soyez par la charité les serviteurs les uns des autres. » En effet servir par charité, c’est servir avec liberté, en obéissant à Dieu sans peine, en faisant avec amour ce qui est demandé, et non pas avec crainte ce qui est forcé.
44. La charité résume toute la Loi.[3]. – « Car toute la Loi se résume dans cette seule parole Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Par conséquent il entend ici par toute la Loi les préceptes destinés à régler les mœurs. Aussi les préceptes même cérémoniels, non pas tels que les observent les esclaves, mais tels que les comprennent les fidèles affranchis par Jésus-Christ, se rapportent nécessairement à ce double commandement de l’amour de Dieu et du prochain ; et ces paroles du Seigneur : « Je ne suis pas venu abolir la Loi, mais la compléter[4],»s’entendent avec raison en ce sens qu’il devait faire disparaître la crainte charnelle et la remplacer par la charité spirituelle, qui peut seule accomplir la Loi divine, « car l’amour est la plénitude de la Loi[5]. » Par conséquent, comme c’est la foi qui obtient le Saint-Esprit 'et que le Saint-Esprit répand la charité divine dans les cœurs de ceux qui pratiquent la justice[6] ; il n’y a pour personne aucune raison de se glorifier de ses bonnes œuvres. Aussi pour réfuter ces aveugles qui mettaient leur gloire dans les œuvres légales, l’Apôtre montre-t-il que ces pratiques cérémonielles déjà vieillies n’étaient que des ombres de l’avenir, et que le Seigneur une fois arrivé ces ombres n’ont plus de raison d’être pour l’héritier affranchi par lui, tandis que les œuvres morales ne peuvent s’accomplir que par l’amour avec lequel agit la foi[7]. De là il faut conclure que si parmi les œuvres légales il en est d’inutiles quand on est parvenu à la foi, et d’autres qui n’ont auparavant aucun mérite, il est nécessaire que le.justevive de la foi[8], que soulevé par le fardeau léger du Christ il secoue le joug pesant de la servitude, et que docile à l’aimable direction de la charité il n’outrepasse point les bornes de la. Justice.
45. La charité envers le prochain témoigne de la charité envers Dieu[9]. – On pourrait se demander pour quel motif l’Apôtre ne fait mention que de la charité envers le prochain, quand il dit ici que la charité accomplit toute la Loi ; et pourquoi aussi traitant la même question dans son Epître aux Romains, il dit également : « Qui aime autrui, accomplit la Loi. En effet : Tu ne commettras point d’adultère, Tu ne seras point homicide, Tu ne déroberas point, Tu ne convoiteras point, et s’il est quelque autre commandement, tout se résume dans cette parole : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. L’amour du prochain n’opère pas le mal ; mais la charité est la plénitude de la Loi [10]. » La charité n’étant parfaite qu’avec le double précepte de l’amour de Dieu et du prochain, pourquoi l’Apôtre ne fait – il mention, dans cette Épître et dans l’Épître aux Romains, que de l’amour du prochain ? N’est-ce point parce que les hommes peuvent simuler l’amour de Dieu, attaqué plus rarement ; tandis qu’il est plus aisé de les

  1. Ps. 18, 10
  2. 1 Sa. 24, 4-8
  3. Gal. 5,14
  4. Mt. 5, 17
  5. Rom. 13, 10
  6. Id. 5, 5
  7. Gal. 5, 6
  8. Hab. 2,4
  9. Gal. 5, 15-16
  10. Rom. 13, 8-10