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de milieu entre ces deux extrêmes : ils font l’aumône en dirigeant leur intention vers Dieu, et cependant à ce but excellent se mêle un certain désir de la louange ou de toute autre chose fragile et passagère. Mais le Seigneur, qui ne veut pas même que la gauche se mêle en rien des œuvres de la droite, défend bien plus énergiquement de la laisser seule agir en nous ; afin que non seulement nous évitions de faire l’aumône uniquement par un motif temporel, mais encore qu’en la faisant, notre intention soit tellement dirigée vers Dieu qu’aucun désir d’avantages extérieurs ne vienne s’y mêler ou s’y joindre. Car il s’agit de purifier le cœur, qui ne peut être pur qu’à moins d’être simple. Or comment sera-t-il simple s’il sert deux maîtres, s’il ne purifie pas ses yeux parla contemplation des biens éternels, et les laisse s’obscurcir par l’amour des choses mortelles et fragiles ? Donc que ton aumône soit dans le secret ; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra. » Rien de plus juste ni de plus vrai. En effet si vous attendez votre récompense de Celui qui lit seul dans la conscience, que le témoignage de votre conscience vous suffise pour mériter ce prix. Beaucoup d’exemplaires latins portent : « Et ton, Père, qui voit dans le secret, te le rendra devant les hommes » mais comme cette expression devant les hommes, ne se trouve pas dans les exemplaires grecs, qui.sontles plus anciens, nous n’avons pas cru devoir nous y arrêter.


CHAPITRE III. DE LA PRIÈRE, SES CONDITIONS, SON UTILITÉ.


10. « Et lorsque tu pries, ne sois pas comme les hypocrites qui aiment à prier debout dans les synagogues et au coin des grandes rues, afin d’être vus des hommes. » Ici encore il n’est point défendu d’être vu par les hommes, mais d’agir pour être vu d’eux ; et il est, superflu de le répéter, puisque la règle est donnée, une fois pour toutes, non de craindre et d’éviter que les hommes sachent ce que nous faisons, mais de rien faire avec l’intention de rechercher leur approbation pour récompense. Le Seigneur lui-même emploie ici les mêmes expressions, en ajoutant, comme la première fois : « En vérité je vous le dis, ils ont reçu leur récompense » faisant voir par là qu’il condamne la récompense que les insensés cherchent dans les louanges humaines.
11. « Pour vous, quand vous priez, entrez dans votre chambre. » Or quelle est cette chambre, sinon le cœur lui-même, ainsi que le Psalmiste l’enseigne quand il dit : « Ce que vous dites dans votre cœur, repassez-le avec amertume sur votre couche[1].— Et, les portes fermées, priez votre Père en secret. » C’est peu d’entrer dans sa chambre, si on en laisse la porte ouverte aux importuns, si les choses du dehors s’y introduisent et envahissent notre intérieur. Or nous avons dit que le dehors ce sont tous les objets temporels et visibles, qui pénètrent dans nos pensées par la porte, c’est-à-dire par les sens charnels, et troublent nos prières par une multitude de vains fantômes. Il faut donc fermer la porte, c’est-à-dire résister au sens charnel, en sorte que notre prière, toute spirituelle, s’élève vers le Père du fond du cœur où l’on prie le Père en secret. « Et votre Père qui voit dans le secret, vous le rendra. » C’est par là qu’il fallait terminer ; car le Seigneur n’a pas en vue ici de nous recommander de prier, mais de nous appendre comment il faut prier ; comme plus haut, ce n’était point l’aumône qu’il recommandait, mais l’esprit dans lequel il faut la faire ; puisqu’il s’agit de la pureté du cœur, qui ne s’obtient qu’en fixant son intention unique, simple, sur la vie éternelle, par le seul et pur amour de la sagesse.
12. « Or, en priant, ne parlez pas beaucoup, comme les païens ; ils s’imaginent qu’à force de paroles ils seront exaucés. » Comme le propre des hypocrites est de se donner en spectacle dans la prière et de n’en attendre d’autre fruit que l’approbation des hommes ; ainsi le propre des païens, c’est-à-dire des gentils, est de s’imaginer qu’à force de paroles ils seront exaucés. Et en effet toute abondance de paroles vient des gentils qui s’appliquent plus à exercer leur langue qu’à purifier leur cœur. Ils s’efforcent de transporter dans la prière ce ridicule verbiage, dans l’espoir de fléchir Dieu, et dans la conviction que Dieu se laisse, comme l’homme, séduire par des paroles. « Ne leur ressemblez donc pas » dite le seul et véritable Maître. « Car votre Père sait de quoi vous avez besoin, avant que vous le lui demandiez. » Si en effet il faut une multitude de paroles pour informer et instruire celui qui ne sait pas, qu’en est-il besoin avec Celui qui connaît tout, à qui tout ce qui est parle, par cela seul qu’il est, et se présente comme un fait accompli ; à la science et à la sagesse duquel l’avenir n’est point caché ; pour qui tout ce qui est passé et

  1. Ps. 4, 5