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appelée la Belle, a-t-il supporté la haine de ses entremis envers lui et envers les autres disciples du Christ[1] ? Enfin si notre ennemi doit ignorer notre aumône, comment la lui ferons-nous, à lui-même, en accomplissement de ce précepte : « Si ton ennemi a faim, donne-lui à manger ; s’il a soif, donne-lui à boire[2] ? »
7. Il y a là-dessus une troisième opinion d’hommes charnels, mais tellement absurde, tellement ridicule, que je n’en parlerais pas si je ne savais qu’elle est admise par un grand nombre. Ceux-là prétendent que la main gauche désigne ici l’épouse ; parce que, disent-ils, la femme tenant davantage à l’argent au sein du ménage, il faut que les hommes fassent l’aumône à leur insu, pour éviter les discussions domestiques. Comme si l’homme seul était chrétien, et que le commandement de l’aumône ne regardât point la femme ! Quelle sera donc la main gauche à qui la femme devra cacher ses œuvres de miséricorde ? L’homme sera-t-il la main gauche de la femme ? Ce serait la plus grande des absurdités. Et si on prétend que les époux sont l’un pour l’autre cette main gauche, si toute aumône faite par l’un du bien domestique contrarie l’autre, ce n’est plus là un mariage chrétien ; il faudra que celui des deux qui voudra accomplir, bon gré malgré, le précepte divin de l’aumône, blesse en même temps la volonté de Dieu, et soit rangé parmi les infidèles : car il est prescrit, en pareil cas, au mari fidèle de gagner sa femme par sa bonne conduite et ses mœurs, et à la femme pareillement à l’égard de son mari ; par conséquent ils ne doivent point se cacher naturellement leurs bonnes œuvres, qui doivent au contraire devenir entre eux une sorte d’invitation réciproque, un moyen de s’attirer à la foi chrétienne. Il ne faut pas non plus voler pour se concilier l’amitié de Dieu. Et s’il est nécessaire de cacher quelque chose, par égard pour l’infirmité du conjoint encore incapable de voir l’aumône de bon œil, en quoi il n’y a ni injustice ni péché ; cependant cette interprétation du mot main gauche ne s’accommoderait guère à l’ensemble du chapitre qui va, du reste, nous apprendre ce que le Christ a entendu par là.
8. « Prenez garde, nous dit-il, à ne pas faire votre justice devant les hommes, pour être vus d’eux ; autrement vous n’aurez point de récompense de votre Père qui est dans les cieux. » Il parle ici de la justice en général, puis il entre dans les détails. En effet l’aumône est une partie de la justice, et c’est pourquoi il ajoute immédiatement : « Lors donc que tu fais l’aumône, ne sonne pas de la trompette devant toi, comme font les hypocrites dans la synagogue et dans les rues, afin d’être honorés des hommes » et ceci se rattache à ce qu’il a dit plus haut : « Prenez garde à ne pas faire votre justice devant les hommes, pour être vus d’eux. » De même ce qui suit : « En vérité je vous le dis, ils ont reçu leur récompense » se rapporte à ce texte précédent : « Autrement vous n’aurez point de récompense de votre Père qui est dans les cieux. » Puis il continue : « Pour toi, quand tu fais l’aumône. » Que signifient ces mots : Pour toi, si non : à la différence d’eux ? Que me commande-t-il donc ? Pour toi, quand tu fais l’aumône, « que ta main gauche ne sache pas ce que fait ta droite. » Donc les hypocrites agissent de manière à ce que leur main gauche sache ce que fait leur droite. On vous défend par conséquent de faire ce qu’on blâme en eux. Or ce qu’on blâme en eux, c’est d’agir en vue des louanges des hommes. Le sens le plus naturel de ce mot, main gauche, semble donc être le plaisir d’être loué ; tandis que la droite signifie l’intention d’accomplir les préceptes divins. Donc quand la recherche de la louange humaine se glisse dans la conscience de celui qui fait l’aumône, la gauche sait ce que fait la droite. Par conséquent, « que ta main gauche ne sache ce que fait ta droite » c’est-à-dire que le désir de la louange humaine ne se glisse point dans votre conscience, quand vous cherchez à remplir le précepte divin de l’aumône.
9. « Afin que ton aumône soit dans le secret. » Qu’est-ce dans le secret, sinon dans la bonne conscience elle-même, qui ne peut ni être rendue visible aux yeux des hommes, ni être manifestée par des paroles ? En effet beaucoup mentent de bien des façons. Par conséquent si la main droite agit à l’intérieur et en secret, à la gauche appartient l’extérieur, tout ce qui est visible et temporel. Que votre aumône soit donc dans votre propre conscience, où beaucoup la font par leur bonne volonté, quand ils n’ont pas d’argent ni autre chose à donner au pauvre. Mais beaucoup aussi la font au dehors, et non au dedans : ce sont ceux qui, par ambition ou par des vues temporelles, veulent paraître miséricordieux et en qui il faut croire que la gauche seule opère. D’autres tiennent une sorte

  1. Act. 2, 4
  2. Prov. 25, 21