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et de toutes sortes de crimes, s’écroulent dans presque toutes les villes avec les édifices, les murailles dont l’enceinte était consacrée au culte des démons ? Mais pourquoi tombent-ils, sinon parce que les objets dont l’usage infâme et sacrilège en avait motivé la construction, ont presque disparu ? Est-ce que leur grand orateur Cicéron, en faisant l’éloge d’un comédien nommé Roscius, ne l’a pas dit tellement habile que lui seul était digne de paraître sur la scène, et tellement homme de bien que lui seul méritait de ne jamais devoir y mettre le pied[1]. Qu’est-ce à dire ? N’a-t-il pas avoué par là très-clairement que ces théâtres étaient si honteux, qu’un homme de bien devait d’autant moins y paraître qu’il était plus homme de bien ? Et cependant on se rendait les dieux propices par ces infamies, auxquelles, selon l’orateur, il eût fallu que les honnêtes gens demeurassent étrangers. Rappelons encore ici un témoignage formel du même Cicéron. Il déclare qu’il doit se concilier la faveur de la déesse Flore, en célébrant les jeux que l’usage a établis[2]. Or, ces jeux étaient caractérisés par un tel oubli de mœurs que, près d’eux, tous les autres dont il interdit la participation aux hommes de bien, doivent passer pour honnêtes. Quelle est cette Flore, cette déesse mère, qu’une dissolution plus éclatante et plus effrontée rend favorable et propice ? Combien il était moins honteux à Roscius de paraître sur le théâtre, qu’à Cicéron d’honorer une telle déesse ? Si les dieux sont offensés parce qu’ils voient disparaître tant d’ignobles ressources de leur culte, on peut juger quels sont ces dieux qui prennent plaisir à de pareils hommages. La diminution de ces biens est-elle un effet de leur colère ? alors il est plus utile d’éprouver leur courroux que d’obtenir leur protection. Ainsi, que les païens désavouent leurs philosophes qui ont condamné de tels désordres dans les hommes débauchés, ou qu’ils brisent leurs dieux qui veulent être honorés de la sorte ; si toutefois ils en trouvent encore aujourd’hui soit à briser soit à cacher. Mais qu’ils cessent leurs blasphèmes contre les temps chrétiens ; qu’ils cessent de reprocher aux temps chrétiens la privation de ces biens inférieurs, source de honteux et funestes excès, pour ne pas nous fournir à leurs dépens un nouveau motif de louer la puissance de Jésus-Christ.

CHAPITRE XXXIV. CONCLUSION.

Je pourrais dire encore beaucoup de choses, si le titre de mon ouvrage ne m’obligeait à clore maintenant ce livre e t à revenir au dessein que je me suis proposé. Car j’ai entrepris de résoudre les difficultés de certains passages de l’Évangile où plusieurs ennemis de la foi chrétienne prétendent que les quatre Évangélistes ne sont pas d’accord. Or, après avoir exposé, comme j’ai pu, l’intention de chacun d’eux, il m’a fallu, pour répondre à la question de quelques païens, expliquer d’abord pourquoi nous ne montrons aucun écrit du Christ lui-même. Ils veulent faire croire, en effet, que l’on a de Jésus-Christ, je ne sais quel livre, bien différent de l’Évangile et conforme à leurs goûts ; ils veulent faire croire que Jésus-Christ n’a pas réprouvé les dieux du paganisme, mais les a au contraire adorés comme magicien, et que ses disciples, outre le mensonge dont ils se sont rendus coupables, en faisant passer pour le Dieu créateur de toute chose, un simple mortel doué d’une sagesse supérieure, ont encore substitué leur doctrine à la sienne, en ce qui regarde les dieux des nations. Alors nous les avons surtout pressés au sujet du Dieu d’Israël qui, par l’Église des chrétiens se trouve maintenant adoré de tous les peuples ; qui a ruiné en tous lieux le culte faux et sacrilège des divinités païennes, comme ses prophètes l’avaient prédit si longtemps d’avance, et a réalisé toutes ses prédictions par le nom de Jésus-Christ, en qui devaient être bénies toutes les nations, suivant sa promesse. D’où ils doivent conclure d’abord, que Jésus-Christ n’a pu penser ni enseigner que ce que lui-même, le Dieu d’Israël, a ordonné et prédit par ses prophètes : car c’est le Dieu d’Israël qui a fait annoncer, c’est lui qui a envoyé Jésus-Christ ; et quant au nom du Christ toutes les nations ont été bénies, selon la promesse du Dieu d’Israël aux anciens, c’est alors que Celui-ci a été appelé le Dieu de toute la terre. D’où ils doivent Conclure, en second lieu, que les disciples de Jésus-Christ n’ont pas dévié de la doctrine de leur maître, quand ils ont défendu d’adorer les dieux des nations, pour nous empêcher ou de faire des vœux à des idoles privées de sens, ou d’avoir société avec les démons, ou de rendre un culte religieux à la créature de préférence au Créateur.

  1. Cic. Discours pour Rosc
  2. Ib. Dis. 5, cont. Verrès.