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que le culte de tels dieux a son explication dans les circonstances de la vie ou de la mort de chacun d’eux parmi les hommes ? Était-il aussi poète ou académicien ce prêtre d’Égypte, nommé Léon, qui, en exposant, sur l’origine des dieux, une opinion différente, il est vrai, de celle des Grecs, parle cependant de manière à faire comprendre au roi de Macédoine Alexandre que ces dieux ont été de simples mortels ?

34. Du reste, que nous importe ? Laissons nos adversaires dire qu’en adorant Jupiter ils n’adressent pas leur culte à un homme mort ; admettons avec eux qu’ils n’ont pas dédié le Capitole à un homme mort, mais à l’esprit qui vivifie toutes choses et qui remplit le monde ; permettons-leur d’expliquer comme ils voudront le bouclier de Jupiter, fait d’une peau de chèvre en l’honneur de sa nourrice. Et Saturne qu’en disent-ils ? Et quel est le Saturne qu’ils adorent ? N’est-ce pas celui qui le premier descendit de l’Olympe, et qui, selon Virgile, « chassé, proscrit de ses états, obligé de fuir pour échapper aux armes de Jupiter, réunit en société, soumit à des lois une nation sauvage, dispersée sur le haut des montagnes, et préféra donner au pays le nom de Latium (latere se cacher,) parce qu’il s’y était caché et mis à l’abri de tout périt[1] ? » L’idole même de ce dieu qui le représente la tête couverte, n’indique-t-elle pas quelqu’un qui se cache ? La faux qu’on lui met à la main, ne fait-elle pas comprendre qu’il s’agit de celui qui enseigna l’agriculture aux habitants de l’Italie ? Non, disent nos païens ; à vous de voir si le personnage dont on raconte ces choses fut un homme et un roi quelconque. Saturne pour nous, c’est le temps universel, comme l’indique son nom grec. Car il est appelé Khronos, dans cette langue, et ce nom rend l’idée du temps quand on le prononce avec aspiration. De là vient qu’en latin il est appelé Saturnus ou saturatus annis, rassasié d’années. Je ne vois – plus de discussion, possible avec des gens dont tous les efforts, pour donner la meilleure interprétation des images et des noms de leurs dieux, se terminent par l’aveu que le premier et le père de tous c’est le Temps. Que déclarent-ils par là, sinon que tous leurs dieux sont temporels ; puisque, selon eux, le temps lui-même en est le père ?

35. C’est de quoi ont rougi leurs philosophes plus récents, les Platoniciens qui ont paru depuis l’établissement du Christianisme. Aussi essayent-ils de donner au nom de Saturne une étymologie plus rationnelle. Son nom grec Khronos disent-ils, signifie : plénitude de l’intelligence; car, en grec, Khronos signifie satiété ou plénitude, et nous intelligence ou esprit. Le mot latin, ajoutent-ils, parait lui-même favoriser cette interprétation, comme composé, pour la première partie, du mot latin satur, et, pour la seconde, du mot grec nous. Saturnus reviendrait ainsi à Satur nous, plein d’intelligence. Ces philosophes ont compris, en effet, qu’il était trop absurde de regarder Jupiter comme le fils du temps, quand ils pensaient ou voulaient faire croire que c’était un dieu éternel, suivant leur interprétation toute nouvelle ; car si elle était ancienne, on rie comprendrait pas que Cicéron et Varron l’eussent ignorée. Voici comment Jupiter est fils de Saturne ; ils voient en lui un esprit qui émane de cette souveraine intelligence, et prétendent qu’il est comme l’âme de ce monde, qu’il pénètre et remplit toute la nature corporelle soit au ciel soit sur la terre. D’où ce mot de Virgile que nous avons déjà rapporté un peu plus haut : « Tout est plein de Jupiter, tout est rempli de sa présence. » S’ils en avaient le pouvoir, comme ils ont changé l’explication du système de la théologie païenne, ne. changeraient-ils pas aussi la superstition des hommes, ne s’abstiendraient-ils pas d’élever aucune idole, ou du moins ne voueraient-ils pas plutôt le Capitole à Saturne qu’à Jupiter ? Car ils conviennent que nulle âme raisonnable n’est sage qu’en vertu de la participation de la souveraine et immuable sagesse ; ils en conviennent, non-seulement pour l’âme humaine, mais encore pour l’âme du monde qu’ils disent être Jupiter. Pour nous, nous accordons et même nous affirmons hautement qu’il y a en Dieu une souveraine sagesse, dont la participation rend sage toute âme qui le devient véritablement. Mais cette masse corporelle dont l’ensemble est appelé, le monde, a-t-elle une âme, son âme propre, une vie raisonnable qui en règle tous les mouvements comme, sont réglés ceux de tout être animé ? C’est une grande question, très-difficile à résoudre : on ne doit pas embrasser cette opinion si la vérité n’en est bien démontrée, ni la traiter d’erreur à moins qu’il ne soit constant qu’elle est fausse. Après tout, qu’importe à l’homme, dût-il toujours vivre sur ce point dans l’ignorance ? La sagesse d’une âme, en effet, résulte seulement de la souveraine et immuable sagesse de Dieu, et non

  1. Virg. Enéid. 1. 8, 320-324.