Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome V.djvu/133

Cette page n’a pas encore été corrigée

CHAPITRE XXIII. NIAISERIES PAÏENNES SUR SATURNE ET JUPITER.

31. Ce sont là, disent nos adversaires, des fables qui doivent être expliquées par les sages ou livrées au ridicule. Pour nous, ce que nous adorons, c’est le Jupiter dont Virgile a dit : « Tout est plein de sa présence[1] ; » c’est-à-dire nous adorons l’esprit qui vivifie toutes choses. S’il en est ainsi, Varron ne s’est pas trompé en supposant que les Juifs adoraient Jupiter, puisque le Seigneur dit par son prophète : « Je remplis le ciel et la terre[2]. » Mais qu’est-ce que le poète appelle ciel ou Éther ; et eux-mêmes quel sens donnent-ils à ce mot ? Car nous avons un autre passage de Virgile ainsi conçu : « Alors l’Ether, père tout-puissant, descendit en pluies fécondes dans le sein de sa joyeuse épouse[3] ; » et ils disent que l’Ether n’est pas un esprit mais bien le corps supérieur qui forme la voûte du ciel étendu au-dessus de l’air. Accordent-ils au poète de parler de Dieu tantôt comme d’un pur esprit selon les Platoniciens, tantôt comme d’un corps selon les Stoïciens ? Et qu’est-ce donc qu’ils adorent au Capitole ? Si c’est un esprit ou même le corps du ciel, que fait là le bouclier de Jupiter qu’ils appellent Egide : car pour expliquer l’origine de ce nom, ils disent que Jupiter, caché par sa mère, fut allaité par une chèvre. Ceci est-il encore une invention des poètes ? Le Capitole des Romains est-il donc aussi l’œuvre des poètes ? Que veut dire cette momerie fort peu poétique, de suivre les philosophes quand il s’agit d’acquérir dans les livres la connaissance des dieux, et les poètes, quand il s’agit de les adorer dans les temples ?

32. Mais fut-ce un poète aussi qu’Evhémère, bien que, au rapport de Cicéron[4], Ennius l’ait traduit en latin ? Or il prouve que Jupiter lui-même et Saturne son père et Neptune et Pluton ses frères ont été simplement des hommes ; il le prouve avec tant de clarté que les adorateurs de ces dieux devraient rendre grâces aux poètes dont les fictions ont eu pour but d’embellir et non de déshonorer les objets de leur culte. Et Cicéron lui aussi était-il un poète ? Voici comme il parle dans les Tusculanes, à son interlocuteur qu’il suppose bien instruit de la doctrine secrète[5]: « Si j’interroge l’antiquité, si je consulte les ouvrages que nous ont laissés les auteurs grecs, j’y verrai que ceux qu’on regarde comme des dieux, même dans les plus grandes nations, sont sortis du milieu de nous, pour alter prendre possession du Ciel. « Informe-toi de quels dieux la Grèce possède les tombeaux ; puisque tu es initié, souviens-toi de l’enseignement des mystères, et tu comprendras enfin combien paraît hors de doute ce que je te dis. » On ne peut le nier, Cicéron, dans ce passage, déclare d’une manière assez explicite, que les dieux des païens furent des hommes ; et il suppose bénévolement qu’ils sont parvenus au Ciel, quoiqu’il ait dit, sans balancer, dans une harangue publique, que l’honneur de l’apothéose relève uniquement de l’opinion du monde ; car en parlant de Romulus il s’est ainsi exprimé : « Notre bienveillance et sa haute renommée ont placé Romulus, fondateur de la Ville, au rang des dieux immortels[6]. » Et qui peut trouver invraisemblable que les hommes aient fait, autrefois pour Jupiter, Saturne et les autres, ce que les Romains ont fait pour Romulus, et ce qu’ils ont voulu faire aussi pour César dans des temps plus rapprochés ? Virgile appuyait ce dessein des accents flatteurs de sa muse : « Voici, disait-il, que paraît l’astre de César, fils de Vénus[7]. » Qu’on prenne donc garde à la vérité historique, qui peut montrer sur la terre les tombes des faux dieux. Qu’on fasse donc réflexion que les poètes n’attachent pas au Ciel, mais feignent d’y rencontrer et d’y reconnaître leurs étoiles. Aussi bien, telle étoilé n’est pas de Jupiter, ni cette autre de Saturne ; mais, après leur mort, les hommes qui ont voulu les regarder comme des dieux ont donné leurs noms à des astres créés dès l’origine du monde. Et à ce sujet, voudrait-on nous dire quel si grand mal a fait la chasteté, quel si grand bien la volupté, pour que Vénus ait son étoile parmi les planètes et pour que Minerve n’ait pas la sienne ?

33. Mais, je le veux, l’académicien Cicéron est moins certain encore de ce qu’il avance que les poètes, quand il ose, jusque dans ses livres, faire mention des tombeaux des dieux, bien que sa parole soit l’écho des traditions religieuses, et non l’expression d’une opinion particulière. Est-ce que Varron, lui aussi, a voulu feindre comme un poète ou supposer comme un académicien,

  1. Virg. Egl. 3, 60.
  2. Jer. 23, 24
  3. Virg. Géorg. 1. 2, 324-326.
  4. Cicér.De la nat. des dieux, I. 1
  5. Id. Tuscu. I.
  6. Cicér.Catil. dis. 3.
  7. Virg.Eg. 9, 47.