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cohéritiers, sinon par la génération, du moins par l’adoption. Il lui a fait d’abord partager notre nature mortelle, afin que nous crussions que nous pouvons être participants de sa divinité.
10. Voyons donc, mes frères, quel est notre prix. Tout est prédit, tout est en évidence, l’Évangile parcourt l’univers entier ; le travail qui s’opère aujourd’hui dans le genre humain, est un témoignage formel, tout ce qui est prédit dans les Écritures s’accomplit. De même que tout ce qui est prédit jusqu’aujourd’hui est arrivé, ainsi le reste s’accomplira. Craignons le jour du jugement, car le Seigneur viendra. Il est venu dans l’humilité, il viendra dans la gloire ; il est venu pour être jugé, il viendra pour juger. Reconnaissons-le dans son humilité, afin de ne point redouter sa gloire ; embrassons-le quand il est humble, afin de désirer sa grandeur. Car il viendra dans sa bonté, si nous soupirons après lui. Or, ceux-là soupirent après lui, qui croient en lui, qui gardent ses commandements. Dussions-nous ne point le vouloir, il viendra. Désirons donc son avènement, puisqu’il viendra toujours malgré nous. Comment désirer son avènement ? Par une vie sainte, et des actions pures. Que le passé n’ait pour nous aucun attrait, et le présent aucun charme ! N’imitons point le serpent qui se bouche l’oreille de sa queue, ou qui appuie son oreille sur la terre[1] ; que le passé ne nous empêche point d’écouter, que le présent ne nous détourne point de penser à l’avenir ; oublions le passé pour nous jeter vers ce qui est en avant[2]. Ce qui nous occupe aujourd’hui, nous fait gémir aujourd’hui, soupirer aujourd’hui, parler aujourd’hui ; ce que nous sentons quelque peu, sans pouvoir l’atteindre, nous l’atteindrons, et nous en jouirons à la résurrection des justes. Notre jeunesse sera renouvelée comme celle de l’aigle[3], seulement brisons contre la pierre qui est le Christ[4], ce que nous tenons du vieil homme. Qu’il y ait vérité, mes frères, dans ce que l’on raconte du serpent ou de l’aigle, que ce soit un adage répandu chez les hommes plutôt qu’une vérité ; les saintes Écritures n’en sont pas moins vraies, et n’ont point sans motif parlé de la sorte ; mettons en pratique la leçon qu’elles nous donnent, sans nous inquiéter si le fait est réel. Sois donc tel que ta jeunesse se puisse renouveler comme celle de l’aigle ; et sache bien qu’elle ne peut être renouvelée, qu’à la condition que le vieil homme qui est en toi sera brisé contre la pierre ; c’est-à-dire que sans le secours de la pierre, sans le secours du Christ, tu ne peux arriver au renouvellement. Que la douceur de ta vie passée ne te rende point sourd à la voix de Dieu ; que les biens présents ne te retiennent pas, ne t’enlacent pas, ne te fassent point dire : Je n’ai pas le temps de lire, le loisir d’entendre. C’est là mettre son oreille contre la terre. Qu’il n’en soit pas ainsi de toi, mais deviens ce qui est le contraire selon toi, c’est-à-dire, oublie le passé, avance-toi vers l’avenir, et brise le vieil homme contre la pierre. Et si l’on te propose des paraboles que tu retrouves dans les saintes Écritures, accepte-les avec foi ; si tu n’y vois qu’un adage, tu peux n’y point croire. Peut-être en est-il ainsi, peut-être non. Mais toi, fais-en ton profit, et que cette parabole te conduise au salut. Tu ne veux point de cette parabole, fais ton salut par une autre, mais fais-le toutefois ; et attends avec sécurité le royaume de Dieu, afin que ta prière ne soit pas en opposition avec toi. Car toi, ô chrétien, quand tu dis : « Que votre règne arrive », comment peux-tu bien dire : « Que votre règne arrive[5] ? » Examine ton cœur et vois bien : « Que votre règne arrive ». Me voici, répondit ; ne crains-tu rien ? Nous l’avons dit souvent à votre charité ; mais prêcher la vérité n’est rien, si le cœur est en désaccord avec la langue, et entendre la vérité n’est rien, si cette audition ne produit aucun fruit. Nous vous parlons de cette chaire, comme d’un lieu plus élevé ; mais nous sommes à vos pieds atterrés par la crainte, il le sait ce Dieu qui se rend propice aux humbles ; car la voix de la louange a moins de charmes pour nous que la piété des pénitents, que les œuvres des cœurs droits. Combien encore vos progrès seuls font notre seule joie ; combien les louanges nous paraissent dangereuses, il le sait celui qui doit nous tirer de tout danger ; qu’il nous délivre ainsi que vous de toute tentation, et daigne enfin nous reconnaître, et nous couronner dans son royaume.

  1. Ps. 57,5
  2. Phil. 3,13
  3. Ps. 103,5
  4. Id. 136,9 ; 1 Cor. 10,4
  5. Mt. 6,10