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hauteurs qui en font toute l’essence, il doit alors aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme, de tout son esprit, et son prochain comme lui-même. Ces deux commandements renferment la loi et les Prophètes[1]. Voilà ce qu’il semble promettre à Dieu, quand il dit : « Et je la garderai de tout mon cœur ».
5. Mais comme il n’en saurait venir là par ses propres forces, et sans le secours de celui qui fait ce commandement, voilà que le Prophète supplie le Seigneur de lui faire accomplir ce qu’il ordonne : « Conduisez-moi dans les sentiers de vos commandements, car c’est là que je me plais[2] ». C’est peu de ma volonté, si vous-même ne me conduisez où je veux aller. Or, c’est bien là le sentier, la voie des commandements rie Dieu, où il avait couru, disait-il, dans la dilatation de son cœur ; et s’il l’appelle un sentier, c’est qu’elle est étroite, cette voie qui conduit à la vie[3] ; et comme elle est étroite, on ne saurait y courir, si le cœur n’est dilaté.
6. Mais parce qu’il s’avance toujours, qu’il court toujours ; et c’est ce qui lui fait implorer le secours d’en haut qui doit le faire aboutir, ce qui n’appartient ni à la course ni à la volonté, mais à la divine miséricorde[4] ; enfin, parce que c’est Dieu qui produit en nous le vouloir[5], et que le Seigneur même nous prépare la volonté, le Prophète continue : « Inclinez mon cœur vers vos préceptes, et non vers l’avarice[6] ». Qu’est-ce à dire, avoir le cœur incliné vers un objet, sinon le vouloir ? Il a donc voulu déjà, et il demande de vouloir encore. Il a voulu, quand il a dit : « Conduisez-moi dans le sentier de vos commandements, car c’est là que je me plais » ; il demande de vouloir encore, quand il dit : « Inclinez mon cœur vers vos témoignages, et non vers l’avarice ». Ce qu’il demande alors, c’est que sa volonté soit de plus en plus forte. Or, quels sont les témoignages de Dieu, sinon ceux par lesquels il se rend témoignage à lui-même ? C’est avec le témoignage que l’on fait une preuve, et dès lors, c’est par des témoignages que Dieu prouve ses œuvres de justice et ses préceptes ; par ses témoignages qu’il nous persuade ce qu’il lui plaît ; et c’est vers ces témoignages que le Prophète le supplie d’incliner son cœur, et non vers l’avarice. C’est par ces témoignages que Dieu nous amène à lui rendre un culte gratuit, ce que ne permettrait point l’avarice, qui est la racine de tous les maux. Il y a dans le texte grec un mot qui désigne l’avarice en général ou le désir excessif, car pleon signifie en latin plus ou davantage, et exis désigne ce que l’on possède, en latin habere. Ainsi donc, avoir plus a fait pleonexia, que plusieurs interprètes latins ont traduit ici par emolumentum, profit, d’autres par utilitas, avantage, d’autres mieux encore, par avaritia, avarice. L’Apôtre nous dit donc que u l’avarice est la racine de tous les « maux[7] ». Mais dans le grec, d’où ces paroles ont été traduites dans notre langue, l’Apôtre ne s’est point servi de pleonexia, que nous lisons dans notre psaume, il a employé celui de philaguria qui désigne l’amour de l’argent. Il faut voir dans cette expression l’espèce pour le genre, et dans l’amour de l’argent, cette convoitise universelle qui est véritablement la racine de tous les maux. Nos premiers parents n’eussent point été séduits et renversés par le serpent, s’ils n’avaient voulu avoir plus qu’ils n’avaient, être plus qu’ils n’étaient. C’est là en effet ce que leur avait promis le serpent : « Vous serez comme des dieux[8] », leur avait-il dit. Telle fut donc la pleonexia qui les fit succomber. Voulant avoir plus qu’ils n’avaient, ils perdirent ce qu’ils avaient reçu. Le droit civil nous montre une lueur de cette vérité répandue partout, dans cette clause qui déboute celui qui demande plus que son droit ; c’est-à-dire qui fait perdre même ce que l’on doit à celui qui réclame plus qu’il ne lui est dû. Or, c’est retrancher de nous toute avarice, que rendre à Dieu un culte gratuit. C’est de là que cet ennemi tirait une accusation contre Job, dans le rude combat de l’épreuve, quand il dit « Est-ce gratuitement que Job sert le Seigneur[9] ? » Le diable croyait en effet que dans le culte qu’il rendait à Dieu, cet homme juste avait le cœur incliné vers l’avarice, qu’il ne servait Dieu que pour ces grands avantages des biens temporels, dont le Seigneur l’avait comblé, comme le mercenaire qui cherche une semblable récompense mais dans cette épreuve il montra qu’il servait Dieu gratuitement. Si donc notre cœur n’est point enclin à l’avarice, nous ne servons Dieu que pour Dieu, en sorte qu’il est lui-

  1. Mt. 22,37-40
  2. Ps. 118,35
  3. Mt. 7,14
  4. Rom. 9,16
  5. Phil. 2,13-14
  6. Ps. 118,36
  7. 1 Tim. 6,10
  8. Gen. 3,5
  9. Job. 1,9