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sans que le corps désire en même temps. Mais quand il ne s’agit que de l’esprit, et quand il y a désir dans l’un et dans l’autre cas, pourquoi souhaiter le désir des justifications de Dieu ? Comment dans un seul et même esprit qui est le mien, aspirer à ce désir, et n’avoir pas ce désir même ? Pourquoi aspirer au désir des justifications, et ne pas aspirer à ces justifications, plutôt qu’à leur désir ? Ou comment puis-je aspirer au désir de ces justifications, sans aspirer à ces justifications elles-mêmes, puisque je n’aspire à les désirer, que parce que je les désire ? S’il en est ainsi, c’est donc elles-mêmes que je désire. Pourquoi donc en souhaiter le désir, puisque je l’ai, et que je sens que je l’ai ? Car je ne pourrais aspirer au désir de la justice, qu’en désirant la justice. N’est-ce point là ce que j’ai dit plus haut, qu’il nous faut aimer jusqu’à cet amour par lequel on aime ce qu’il faut aimer ; comme on doit haïr cet amour dont on environne ce qu’il ne faut pas aimer ? Car nous haïssons cette convoitise qui est en nous, et que la chair oppose à l’esprit[1]. Et qu’est-ce que cette convoitise, sinon un amour dépravé ? Nous aimons aussi cette aspiration qui est en nous, et que l’esprit oppose à la chair. Or, quelle est cette aspiration, sinon un amour légitime ? Mais dire que l’on doit aimer cet amour, n’est-ce point dire qu’on doit le désirer ? Si donc il est bon d’aspirer aux justifications de Dieu, il est bon d’aimer l’amour de ces justifications. Ou bien la concupiscence diffère-t-elle du désir ? Non que le désir ne soit une concupiscence, mais parce que toute concupiscence n’est pas un désir. La concupiscence a pour objet ce que nous possédons et ce que nous ne possédons pas ; c’est par elle qu’un homme jouit de ce qu’il a : mais le désir a pour objet des choses absentes. Mais alors qu’est-ce que le désir, sinon la concupiscence de ce que nous n’avons pas ? Et comment les justifications de Dieu peuvent-elles être loin de nous, sinon quand nous les ignorons ? Sont-elles vraiment absentes, quand nous les connaissons sans les observer ? Que sont en effet des justifications, sinon des œuvres de justice, et-non de simples paroles ? Il peut arriver dès lors que notre âme soit assez faible pour ne point les désirer, et qu’en même temps la raison lui en démontrant l’utilité et la sainteté, lui en fasse souhaiter le désir. Souvent en effet, nous voyons ce qu’il faut faire, et ne le faisons pas, parce que nous n’avons point d’attrait pour le faire, et que nous voudrions y en trouver. L’esprit vole ; mais notre faiblesse nous retient, notre amour languissant ne suit qu’avec lenteur, et parfois même ne suit point. Le Prophète souhaitait donc de désirer ce qu’il trouvait bien ; il voulait trouver de l’attrait dans ce qu’il voyait de raisonnable.
5. Il ne dit point : Mon âme souhaite ; mais : « Mon âme a souhaité désirer vos justifications ». Peut-être cet homme étranger sur la terre était-il arrivé au terme de ses souhaits, et désirait-il déjà ce qu’autrefois il aurait tant voulu désirer. Mais s’il désirait les justifications, comment ne les avait-il point ? Il n’y a rien qui nous empêche d’avoir les justifications du Seigneur, comme ne pas les désirer, alors que nous ne ressentons aucun amour pour elles, bien qu’on en voie la lumière éclatante. Le Prophète ne les avait-il point déjà, ne les pratiquait-il point ? Car il nous dit un peu après : « Quant à votre serviteur, il s’exerçait dans vos justifications[2]1 ». Mais il nous montre quels sont en quelque sorte les degrés pour y arriver. Le premier, est de voir combien elles sont avantageuses et honorables ; ensuite d’en souhaiter le désir ; enfin à mesure que s’augmentent en nous la lumière et la force, il faut que nous ressentions dans l’accomplissement de ces œuvres de justice, le goût que nous inspirait la seule méditation. Mais ce discours est déjà bien long ; réservons alors ce qui suit pour l’exposer plus facilement dans un autre avec le secours de Dieu.

  1. Gal. 5,17
  2. Ps. 118,23