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4. Mais le Prophète, sachant qu’on ne saurait garder fidèlement les paroles du Seigneur, à moins d’en avoir l’intelligence, ajoute aussitôt à sa prière : « Ôtez le voile de mes yeux, et je considérerai les merveilles de votre loi » ; puis encore : « Je suis un locataire en cette vie » ; ou, comme on lit en certains exemplaires : « Je suis un étranger en cette vie, ne me cachez pas vos commandements[1] ». Dans ces paroles : « Ne me cachez pas vos commandements », il répète ce qu’il a dit plus haut : « Otez le voile de mes yeux ». Et « vos commandements », c’est la répétition de ce qu’il a dit ailleurs : « Les merveilles au sujet de votre loi ». Or, la plus grande merveille dans les commandements de Dieu est cette parole : « Aimez vos ennemis »[2] ; c’est-à-dire, rendez le bien pour le mal. Mais ne passons pas légèrement sur ce point, que le Prophète se regarde comme un locataire ou comme un étranger ici-bas ; et comme nous ne pouvons en parler dans ce discours, nous en parlerons dans un autre avec le secours de Dieu.

HUITIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 118

LES DÉLICES DE LA LOI DE DIEU.

Dès lors que notre âme n’est point d’ici-bas, que nous sommes bannis du paradis, et que nous cherchons une patrie meilleure, nous sommes ici des étrangers comme nos pères ou les saints. L’infidèle au contraire n’est pas étranger. Or, nous allons à la véritable patrie par les commandements de Dieu qui se réduisent à l’amour de Dieu et du prochain ; ce qui est facile à comprendre, et le Prophète supplie le Seigneur de lui en donner cette connaissance qui consiste à se plaire dans l’accomplissement de ces préceptes.


1. Dans ce psaume qui est le plus long, je dois répondre à votre attente, et vous parler à partir de ce verset : « Je suis un locataire », ou, comme on trouve en d’autres manuscrits, « un étranger ici-bas, ne me dérobez pas vos e préceptes »[3]. L’expression grecque paroikos, est traduite en effet tantôt par inquilinus, locataire, tantôt par incola, étranger, souvent même par advena, nouvel arrivant. Les locataires n’ayant point une demeure en propre, habitent les maisons des autres ; les étrangers, les nouveaux-venus, sont évidemment gens de passage. Alors s’élève une grave question au sujet de l’âme. Car ce n’est point de notre corps que l’on peut dire qu’il est étranger, ou nouveau-venu, ou de passage sur la terre, puisqu’il tire de la terre son origine. Mais sur une question aussi difficile, je n’oserais rien décider. Car le Prophète a pu se dire, ou locataire, ou étranger, ou nouveau-venu, sur cette terre, soit à cause de son âme, (Dieu me préserve de la regarder comme terrestre) soit dans le sens de l’homme tout entier, qui fut jadis habitant du paradis, où n’était déjà plus celui qui nous parlait de la sorte ; soit même, ce qui nous parait hors de toute contestation, que tout homme ne puisse tenir ce langage, mais celui qui souscrit à la promesse d’une patrie éternelle dans les cieux. Ce qu’il y a de certain, c’est que la vie de l’homme sur la terre est une épreuve[4], et qu’un lourd fardeau pèse sur les enfants d’Adam[5]. J’aime mieux entendre ces paroles en ce sens que nous sommes des locataires ou des étrangers ici-bas, parce que nous recherchons cette patrie céleste d’où nous avons reçu des gages, et où nous devons arriver pour ne plus en sortir. Car celui qui dans un autre psaume dit à Dieu : « Je ne suis à vos yeux qu’un locataire, qu’un étranger, comme tous mes ancêtres[6] » ; ne dit pas : ainsi que tous les hommes ; mais en disant, comme tous mes ancêtres, il veut nous faire comprendre sans aucun doute les

  1. Ps. 118,18-19
  2. Mt. 5,44
  3. Ps. 118,19
  4. Job. 7,1
  5. Sir. 40,1
  6. Ps. 38,13