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sont ainsi résumés dans notre verset : « Celui-là est l’homme doux, qui pardonne et qui prête ». Ne négligeons rien ici, mes frères ; c’est chercher la gloire, que vouloir se venger ; mais écoutez ce qui est écrit : « L’homme qui dompte sa colère est plus fort que celui qui prend une ville[1] ». C’est vouloir s’enrichir que ne rien donner aux pauvres ; mais écoutez ce qui est écrit : « Vous aurez un trésor dans le ciel[2] ». Donc, pardonner n’est point sans gloire ; car il est plus grand de triompher de sa colère : on ne s’appauvrit point en donnant, parce que le trésor du ciel est bien plus sûr. Tout cela nous était annoncé par ce verset précédent : « La gloire et les richesses sont dans sa maison[3] ».
5. Observer ces préceptes, c’est « régler ses paroles pour le jugement ». Les actes sont des paroles qui nous défendront au jugement, et ce jugement ne sera point sans miséricorde pour l’homme qui aura lui-même fait miséricorde. « Car il ne sera point ébranlé éternellement[4] » celui qui, placé à droite, entendra ces paroles : « Venez, ô bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé dès l’origine du monde[5] ». Et dans ce jugement il ne sera question que de leurs œuvres de miséricorde. Il entendra donc : Venez, ô bénis de mon Père ; parce que « la race des justes sera bénie », de même aussi « la mémoire du juste sera éternelle « et il ne craindra point cette parole sévère[6] », qu’il doit entendre prononcer contre ceux qui seront à gauche : « Allez au feu éternel, préparé à Satan et à ses anges[7] ».
6. Celui donc qui n’aura point cherché ses propres intérêts, mais ceux de Jésus-Christ[8], supporte le labeur avec une grande patience, et attend avec confiance les promesses divines : « Son cœur est tout prêt à espérer dans le Seigneur » ; et nulle épreuve ne saurait le briser. « Son cœur est fortifié et ne sera point ébranlé, jusqu’à ce qu’il voie le sort de ses ennemis[9] ». Ses ennemis n’ont voulu voir en cette vie que des biens, et quand on leur en promettait d’invisibles, ils disaient : « Qui nous fera voir les biens[10] ? » Que notre cœur donc s’affermisse, et ne soyons pas ébranlés jusqu’à ce que nous voyions le sort de nos ennemis. Pour eux, ils ont voulu voir les biens des hommes dans la terre des mourants ; et nous, nous espérons « voir les biens du Seigneur sur la terre des vivants[11] ».
7. Mais c’est un grand point, d’avoir le cœur affermi, de n’être point ébranlé, quand on voit dans la joie ceux qui aiment ce qu’ils voient, et qui prodiguent l’insulte à celui qui espère ce qu’il ne voit pas. Toutefois, celui-là ne sera point ébranlé, dit le Prophète, jusqu’à ce qu’il voie, non les choses de la terre comme ses ennemis, mais les choses d’en haut au-dessus de ses ennemis, « celles que l’œil n’a point vues, que l’oreille n’a point entendues, qui ne sont point montées au cœur de l’homme, et que Dieu néanmoins a préparées à ceux qui le craignent ». Quel n’est point le prix de ce bien invisible, et que l’on n’acquiert qu’au prix de ce que chacun peut avoir ? Aussi le Prophète a-t-il ajouté : « Il a répandu ses biens, les a donnés aux pauvres ». Il ne voyait pas, et pourtant il achetait ; mais Celui qui ne dédaignait point d’avoir faim et soif dans les pauvres, lui réservait un trésor dans le ciel. Il n’est donc pas étonnant que « sa justice demeure dans les siècles des siècles », puisqu’elle est gardée par Celui qui a fondé les siècles, « Sa force sera élevée en gloire », lui dont les superbes méprisaient les saints abaissements.
8. « Le pécheur verra et frémira de colère » : donc une pénitence tardive et sans huit. Contre qui sa colère, sinon contre lui-même, quand il dira : « De quoi nous a servi notre orgueil, et que nous revient-il de l’ostentation de nos richesses ? » En voyant donc la force du juste s’élever en gloire, parce qu’il a répandu ses biens en les donnant aux pauvres, « il grincera les dents et séchera de dépit » ; car il y aura des pleurs et des grincements de dents. Il ne ressemblera point à cet arbre qui reverdit et se couvre de feuilles, comme il serait devenu par un repentir à temps opportun ; mais son repentir viendra quand « le désir des pécheurs s’évanouira » sans être adouci par aucune consolation. Car ce désir du pécheur doit s’évanouir, lorsque tout passera comme l’ombre, et quand la fleur tombera du foin desséché. « Mais le Verbe du Seigneur, qui demeure éternellement », se rira de leur perte et de leur véritable malheur, comme on l’a tourné lui-même en dérision, dans l’enivrement d’un bonheur passager.

  1. Prov. 16,32
  2. Mt. 19,21
  3. Ps. 111,5
  4. Id. 6
  5. Mt. 25,34
  6. Ps. 111,7
  7. Mt. 25,41
  8. Phil. 2,21
  9. Ps. 111,7-8
  10. Id. 4,6
  11. Ps. 26,13