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terre si désirable, c’était manquer de foi à la parole de Dieu, qui veut, par des moyens petits en quelque sorte, nous élever à de grandes choses ; dans leur impatience d’être heureux par les jouissances temporelles, qu’ils convoitaient d’une manière charnelle, « ils n’attendirent point », comme il est dit plus haut, « que les desseins de Dieu fussent accomplis sur eux[1] ».
23. « Ils murmurèrent sous leurs tentes, et n’écoutèrent point la voix de Dieu[2] », qui leur défendait sévèrement le murmure.
24. « Il leva sa main sur eux, pour les exterminer au désert ; pour abattre leur race devant les nations, et les disperser parmi les peuples[3] ».
25. Ici, avant de dire qu’un homme s’interposa entre eux et cette souveraine indignation de Dieu, qu’il apaisa en quelque sorte, le Prophète poursuit : « Ils s’initièrent à Béelphégor[4] » ; c’est-à-dire qu’ils se consacrèrent à l’idole des nations. « Ils mangèrent des victimes immolées aux morts. Ils irritèrent le Seigneur par leurs inventions, et la ruine se multiplia sur eux[5] ». Comme si Dieu n’avait différé de lever la main sur eux pour les exterminer au désert, pour faire disparaître leur postérité du nombre des nations, et les disperser Parmi les peuples, que pour les livrer au sens réprouvé, afin qu’ils commissent des crimes capables de faire éclater la justice de Dieu dans leur châtiment. C’est ainsi que l’Apôtre a dit : « Comme ils ont refusé de connaître Dieu, Dieu les a livrés au sens réprouvé, afin qu’ils commettent des crimes indignes[6] ».
26. Enfin, tel fut leur crime en se consacrant aux idoles, et en mangeant les sacrifices des morts (c’est-à-dire ces sacrifices que les Gentils offraient à des hommes morts comme à des dieux), que Dieu ne voulut être apaisé qu’en la manière dont l’apaisa le prêtre Phinéès, qui tua d’un même coup l’homme et la femme qu’il surprit dans un embrassement adultère[7]. S’il eût agi de la sorte par un motif de haine, et non par amour, par ce zèle dont il – brûlait pour la maison de Dieu, cette action ne lui eût pas été imputée à justice. Ce meurtre fut comme un châtiment, dont Dieu frappa, comme un seul homme à l’âme duquel il veut épargner la mort, ce peuple dont il allait faire un si grand carnage. Il est vrai que, dans le Nouveau Testament, Notre-Seigneur Jésus-Christ nous traite avec pins de douceur ; mais les menaces de l’enfer, que nous ne lisons point dans toutes ces menaces de maux temporels, sont bien plus terribles. « La ruine se multiplia donc chez eux », quand l’énormité de leurs crimes leur attira des châtiments proportionnels. « Et Phinéès se leva et apaisa Dieu, et le fléau cessa[8] ». Le Prophète ne fait qu’effleurer cette histoire, parce qu’il n’instruit point ici les ignorants ; il rappelle ce que chacun sait. Ce qui est exprimé ici par fléau, l’était plus haut par le mot briser ; dans le grec, c’est la même expression.
27. « Cela lui fut imputé à justice de génération en génération, jusqu’à l’éternité[9] ». Dieu imputa à justice cette action de son prêtre, non seulement pour la durée d’une génération, mais « jusqu’à l’éternité » ; lui qui sonde les cœurs, et qui sait mesurer quel amour du peuple animait alors son serviteur.
28. « Ils irritèrent encore le Seigneur aux eaux de la contradiction, et Moïse fut châtié à cause d’eux, parce qu’ils avaient aigri son esprit ; et la distinction fut sur ses lèvres[10] ». Qu’est-ce à dire, « la distinction ? » Il douta que ce même Dieu, qui avait déjà fait tant de prodiges, pût faire couler l’eau d’un rocher. Car ce ne fut qu’avec hésitation qu’il frappa la pierre avec sa houlette ; de là vient qu’il fit une distinction entre ce miracle et les autres dans lesquels il n’avait nullement hésité ; de là sa faute, et de là vient aussi qu’il mérita d’entendre qu’il mourrait avant d’entrer clans la terre promise[11]. Troublé par le murmure d’un peuple infidèle, il ne demeura point aussi ferme qu’il devait l’être. Et toutefois, même après sa mort, Dieu lui rendit un témoignage favorable comme à son élu, afin de nous montrer que cette hésitation de sa foi n’eut d’autre châtiment que cette peine temporelle, de ne pas entrer dans la terre où il conduisait son peuple. Mais gardons-nous de croire qu’il fut banni du royaume de la grâce divine, dont nous avons une figure dans cette terre, où selon l’Écriture, coulaient le lait et le miel[12]. Car telle est, à proprement parler, l’alliance éternelle conclue avec Abraham

  1. Ps. 105,13
  2. Id. 25
  3. Id. 26,27
  4. Id. 28
  5. Id. 29
  6. Rom. 1,28
  7. Nb. 35,8
  8. Ps. 105,30
  9. Id. 31
  10. Id. 32,33
  11. Deut. 32,49-52
  12. Exod. 3,8