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repos qui nous est promis alors que seront affermies les portes de Jérusalem[1]. Mais dans notre pèlerinage, à la vue de ce monde entier, de ces hommes qui de toutes parts accourent embrasser la foi, qui craignent l’enfer, qui méprisent la mort, qui aspirent à la vie éternelle, qui dédaignent celle-ci, transportés de joie à la vue d’un tel spectacle, nous chantons : « O Dieu, la terre est remplie de vos créatures ».
4. Cette vie, toutefois, est encore battue par les flots des tentations, elle est troublée par les tempêtes et par les orages de la tribulation et de l’orgueil ; telle est néanmoins la voie. Que la mer nous menace, que ses flots s’amoncellent, que ses tempêtes grondent, c’est là qu’il faut aller ; nous avons pour naviguer le bois sacré : « La terre est remplie de vos créatures ». Nous ne sommes point encore, il est vrai, à la terre des vivants, celle-ci est encore la terre où l’on meurt ; mais nous crions et nous disons : « Vous êtes mon espérance, vous êtes mon héritage dans la terre des vivants[2] ». Mon espérance dans la terre de la mort, mon héritage dans la terre des vivants. Telle est la terre remplie de la créature de Dieu. Celui-ci qui est sur la terre de la mort, et pas encore dans la terre des vivants, par où va-t-il passer ? Écoute ce qui suit : « Voilà la grande mer qui s’étend au loin, là se meuvent des reptiles sans nombre, des animaux grands et petits[3] ». La mer a un son effrayant : « Là se meuvent des reptiles innombrables ». Les pièges se glissent de toutes parts ici-bas, les imprudents y sont pris. Qui peut énumérer toutes les tentations qui se glissent partout ? Elles se glissent ; mais veille à n’être pas enlacé. Veillons sur le bois sacré, et alors nous sommes en sûreté, et sur les ondes et au milieu des flots : que le Christ ne dorme point, que notre foi ne dorme point ; si le Christ dort, éveillons-le, et il commandera aux vents, et la mer s’apaisera[4] ; cette voie aura un terme qui nous donnera la joie de la patrie. « Là se meuvent des reptiles sans nombre, grands et petits ». Sur cette mer si formidable, je vois encore des incrédules ; je les trouve dans les eaux stériles et amères, les uns grands, les autres petits. Nous voyons cela. Il est encore dans cette vie bien des petits qui n’ont pas encore embrassé la foi, beaucoup de grands du monde ne croient point encore ; il y a dans cette mer « de grands et de petits animaux » : ils haïssent l’Église, le nom de Jésus-Christ leur pèse ; ils ne nous outragent point, parce que la loi ne le permet pas ; leur cruauté, n’osant éclater, se renferme dans leurs cœurs. Tous ceux, en effet, petits ou grands, qui voient avec douleur les temples fermés, les autels renversés, les idoles brisées, les lois qui défendent comme un crime capital de sacrifier aux idoles, tous ceux qui en sont affligés sont encore dans la mer. Mais nous, par où donc pourrons-nous aller à la patrie ? En traversant la mer, mais appuyés sur le bois. Ne crains aucun danger, le bois qui te porte soutient le monde entier. Redoublez donc d’attention : « Cette mer est vaste et s’étend au loin, là se meuvent des reptiles sans nombre, grands et petits ». Mais rassure-toi, bannis toute crainte, soupire après la patrie, et sache que tu es dans l’exil.
5. « C’est là que passeront les navires[5] ». Voyez, sur cette mer effrayante, des vaisseaux qui se promènent sans être submergés. Dans ces vaisseaux, nous voyons les Églises. Elles traversent et les tempêtes et les orages des tentations, et les flots du monde, au milieu des petits et des grands animaux. Le Christ est là pour les diriger avec le bois de sa croix. « C’est là que passeront les navires ». Que ces navires ne craignent point, qu’ils ne considèrent point la mer qu’ils traversent, mais le pilote qui les conduit. « C’est là que passeront les navires ». Or, quelle traversée peut être fâcheuse, quand on sent que le Christ est le pilote ? Ils passeront donc en sécurité, ils passeront avec persévérance, ils arriveront au port, et seront conduits sur la terre du repos.
6. Mais il y a dans cette mer quelque chose de plus redoutable que ces animaux grands et petits. Qu’est-ce donc ? Écoutons le psaume : « Là est ce dragon que vous avez formé, pour être un jouet[6] ». Il y a donc là des reptiles sans nombre, des animaux grands et petits, des navires qui passent et qui ne craindront ni les reptiles sans nombre, ni les animaux grands et petits, ni même le dragon qui est là, et « que Dieu a formé pour être un jouet ». Il y a ici un grand mystère, et néanmoins vous

  1. Ps. 147,13
  2. Id. 141,6
  3. Id. 103,25
  4. Mt. 8,24-26
  5. Ps. 103,26
  6. Id.