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leur conversion, mais qui diffèrent de l’accomplir, ils disent alors comme le corbeau, cras, cras, demain, demain. Mais le corbeau une fois sorti de l’arche, n’y revint plus[1]. Dieu n’aime point ces retards qu’exprime le cri du corbeau, il veut la confession avec le gémissement de la colombe. La colombe fut envoyée et revint. Jusques à quand dirons-nous : Cras, cras, demain, demain ? Attention au dernier cras, et comme tu ne sais quand arrivera ce dernier cras, qu’il te suffise d’avoir été pécheur jusqu’aujourd’hui. Tu entends nos avertissements, tu les entends souvent, tu les entends aujourd’hui encore, et de même que tu les entends tous les jours, tu remets tous les jours à te corriger. « Par la dureté de ton cœur, par ton impénitence, tu amasses un trésor de colère pour le jour de la colère et de la manifestation du juste jugement de Dieu, qui rendra à chacun selon ses œuvres[2] ». Que la miséricorde en Dieu ne te fasse pas oublier qu’il est juste. « Le Seigneur est plein de miséricorde et d’amour ». Je l’entends, je m’en réjouis, dis-tu ; écoute encore et réjouis-toi, le Prophète ajoute : « Il a une longue patience, il est riche en miséricorde », et enfin « il est véridique ». Si les premières paroles te réjouissent, que la dernière te fasse trembler. Dieu, il est vrai, a de la patience, de la miséricorde, mais il est véridique. Et lorsque tu auras amassé un trésor de colère, pour le jour de la vengeance, ne sentiras-tu point sa justice après avoir méprisé sa bonté ?
17. « Il n’est point irrité pour toujours ; son indignation ne sera pas éternelle[3] ». Ces châtiments que nous endurons dans la corruption d’une chair mortelle, sont l’effet de son indignation : c’est la peine du premier péché. Mes frères, il nous faut penser, non plus seulement à éviter ses menaces pour l’avenir, mais encore sa colère d’aujourd’hui. Car c’est à lui la colère dont saint Paul a dit que lui et nous sommes les enfants. « Nous avons été, nous autres », dit-il, « par notre nature, des enfants de colère, ainsi que les autres[4] ». C’est donc un effet de sa colère, que l’homme soit ici-bas en exil, soumis au travail. N’est-ce point, mes frères, un effet de sa colère, que cet arrêt « Tu mangeras ton pain dans la sueur et dans le travail, et la terre produira pour toi des épines et des chardons[5] ? » Ainsi fut-il dit à notre premier père. Ou si notre vie est autre chose, cherche un plaisir qui soit exempt d’épines. Choisis comme il te plaira, sois avare et voluptueux pour n’indiquer que ces deux passions, sois même ambitieux, c’est la troisième, et dis-moi combien d’épines dans la recherche des honneurs ! combien d’épines dans les voluptés ! combien d’épines dans les convoitises de l’avarice ! combien d’épines dans les amours déréglées ! combien, en un mot, de sollicitudes en celte vie ! Je ne parle point de l’enfer, mais prends garde d’être à toi-même ton enfer. Tout cela donc, mes frères, est l’effet de la colère divine ; et en te tournant vers Dieu, pour faire le bien, tu ne pourras que souffrir sur la terre, et la douleur ne doit finir qu’avec notre vie. Il nous faut donc souffrir pendant l’exil, afin de nous réjouir dans la patrie. Les consolations divines viennent adoucir notre labeur, nos sueurs, nos chagrins, et Dieu te promet qu’« il ne sera point toujours irrité, que son indignation ne sera pas éternelle ».
18. « Il ne nous a point traités selon nos offenses » Grâces à Dieu qui l’a voulu ainsi, qui ne nous a point traités comme nous le méritions : « Il ne nous a point traités selon nos offenses, ne nous a point rendu selon nos iniquités. Autant les cieux sont élevés au-dessus de la terre, autant sa miséricorde s’élève et s’affermit sur ceux qui le craignent. Dieu affermit sa miséricorde sur ceux qui le craignent[6] ». Dans quelle mesure ? « Autant que le ciel s’élève au-dessus de la terre ». Que dit ici le Prophète ? Si jamais le ciel peut cesser de couvrir et de protéger la terre, Dieu alors pourra cesser de protéger ceux qui le craignent. Vois le ciel : partout, de tous côtés, il couvre la terre ; il n’est aucune partie de la terre que le ciel ne couvre point. Or, les hommes pèchent sous le ciel ; ils font sous le ciel toutes sortes de maux, et néanmoins le ciel les protège. C’est du ciel que la lumière vient à nos yeux, que nous vient l’air que nous respirons, et la pluie qui féconde la terre, du ciel enfin que nous viennent tous les bien3. Ôtez à la terre le secours du ciel, ce ne sera bientôt qu’un néant. Comme donc le ciel protège incessamment la terre, ainsi Dieu protège incessamment ceux qui le craignent. Crains-tu Dieu ? Sa protection

  1. Gen. 8,7
  2. Rom. 2,5-6
  3. Ps. 102,9
  4. Eph. 2,3
  5. Gen. 3,18-19
  6. Ps. 102,10-11