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ceux qui étaient étrangers, de ramener les bannis ; voilà pourquoi il s’est fait homme. Il est donc devenu la tête de l’Église, ayant un corps et des membres. Parce que ses membres gémissent sur la terre dans l’univers entier, au dernier jour ils seront dans la joie, quand ils recevront cette couronne de justice dont saint Paul a dit, que « le Seigneur, dans la justice de son jugement, doit nous la rendre alors[1] ». Et maintenant unissons-nous en un même corps et chantons en espérance. Car après avoir revêtu le Christ, nous ne sommes qu’un même Christ avec notre chef, puisque nous sommes assurément de la race d’Abraham. C’est le langage de l’Apôtre. Et si j’ai dit que nous sommes le Christ, l’Apôtre a dit : « Vous êtes donc la race d’Abraham, les héritiers selon la promesse ». Vous êtes de la race d’Abraham : or, voyons si le Christ est la race d’Abraham : « En ta race les nations seront bénies. Il ne dit pas : Dans tes descendants, comme s’ils étaient plusieurs ; mais bien comme d’un seul : Et en celui qui naîtra de toi, et qui est le Christ[2] ». À nous aussi il est dit : « Donc vous êtes la race d’Abraham ». Il est donc évident que nous appartenons au Christ, et que nous sommes ses membres, sou corps ne formant avec notre chef qu’un seul homme. Ainsi répétons, nous aussi : « Seigneur, je chanterai votre miséricorde et votre justice ».
4. « Je chanterai votre gloire, et je connaîtrai les voies de l’innocence, quand vous viendrez à moi[3] ». Tu ne saurais chanter et comprendre que dans les voies de l’innocence. Si tu veux comprendre, chante dans la voie pure, c’est-à-dire travaille avec joie pour le Seigneur. Quelle est cette voie pure ? Écoute la suite : « Je marchais dans l’innocence de mon cœur, au milieu de ma maison ». Cette voie pure commence par l’innocence, et arrive encore au terme par l’innocence. À quoi bon chercher tant de paroles ? Sois pur, et toute justice est accomplie. Mais en quoi consiste l’innocence ? Un homme peut nuire en deux manières à un autre homme, ou en, le rendant misérable, autant qu’il est en lui, ou en l’abandonnant dans la misère ; car tu ne veux point qu’un autre te plonge dans la misère, ni qu’il t’abandonne, si tu es misérable. Quel est celui qui fait la misère des autres ? Celui qui use de violences ou d’embûches, qui ravit le bien d’autrui, qui opprime les pauvres, qui se livre au vol, qui recherche l’adultère, qui calomnie, qui fait gémir les autres, pour le bonheur de nuire, Quel est celui qui abandonne les misérables ? C’est celui qui voit un pauvre dénué de tout secours, et qui néglige de le soutenir comme il le pourrait, qui le dédaigne, qui lui ferme son cœur. Quand même on serait homme à n’avoir jamais besoin de miséricorde, il y aurait encore de l’orgueil, dans l’abandon d’un misérable : mais lorsqu’on est dans la tribulation de la chair, qu’on ne sait ce qui peut arriver demain, et qu’on méprise les larmes d’un malheureux, on n’est plus innocent. Mais alors qui est innocent ? Celui qui ne nuit point aux autres ni à lui-même. Car se nuire à soi-même, ce n’est plus être innocent, Je n’ai rien dérobé à personne, me dira quelqu’un, ni fait violence à personne ; c’est avec mon bien, avec le juste fruit de mon travail que je prends mes ébats, que je veux avoir une table bien servie, dépenser autant qu’il me plaira et boire avec mes amis, autant qu’il me plaira ; à qui ai-je fait tort ? À qui ai-je fait violence ? Qui se plaint de moi ? Il paraît innocent. Mais s’il se pervertit, s’il détruit en lui-même le temple de Dieu, comment espérer qu’il sera miséricordieux pour les autres, qu’il prendra en pitié les malheureux ? Pourrait-il avoir de la pitié pour les autres, quand il est si cruel envers lui-même ? Toute la justice se résume ainsi dans ce mot d’innocence. – « Aimer l’iniquité, c’est haïr son âme[4] ». Lorsqu’il aimait l’iniquité, il croyait nuire aux autres ; mais vois s’il nuisait aux autres. « Aimer l’iniquité », dit le Psalmiste, « c’est haïr son âme ». C’est donc à lui-même qu’on nuit tout d’abord, quand on veut nuire aux autres : on ne se met point au large, l’espace manque : toute malice est toujours à l’étroit ; il n’y a que l’innocence pour être au large et se promener à l’aise. « Je me promenais dans l’innocence de mon cœur, au milieu de ma maison ». Par ce milieu de la maison, il entend ou l’Église elle-même dans laquelle se promène le Christ, ou notre cœur qui est une maison intérieure ; alors, au milieu de ma maison, serait une répétition de ce qu’il a dit plus haut : « Dans l’innocence de mon cœur ». Quiconque tient cette maison en mauvais état,

  1. 2 Tim. 4,8
  2. Gal. 3,8.16.29 ; Gen. 12,3
  3. Ps. 100,2
  4. Ps. 10,6