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DISCOURS SUR LE PSAUME 100

SERMON AU PEUPLE.

LA MISÉRICORDE ET LE JUGEMENT.

Que nul ne compte sur l’impunité à cause de la divine miséricorde, car le Psalmiste qui chante cette miséricorde tout d’abord, y joint le jugement ou la justice. Souvent chez les hommes la miséricorde a nui à la justice, et la justice à la miséricorde ; mais Dieu tout d’abord miséricordieux ne tolère les méchants que pour les juger ensuite, après les avoir amenés à la pénitence. Saint Paul qui proclame la miséricorde de Dieu pour lui-même, n’en menace pas moins du jugement de Dieu, ceux qui se rassurent à cause de l’impunité de cette vie. Outre la crainte, ce jugement doit nous inspirer l’amour, puisque nous serons couronnés. Sans la divine miséricorde, Paul n’était qu’un blasphémateur ; mais la grâce de Dieu lui fait espérer la couronne de Justice qui lui est due ; il est ici le type des pécheurs. Mais Dieu ne nous épargne que pour nous amener à la pénitence, autrement il serait notre complice. Il nous mettra en face de nous-mêmes pour nous convaincre. C’est donc là le chant du Christ, chef de l’Église, en qui nous sommes Christ. Mais pour chanter avec lui, il faut ne pas nuire aux autres, ni à soi-même. Autrement notre conscience perverse ne nous permettrait pas d’habiter ni dans le Christ, ni dans notre intérieur. Répudions les prévaricateurs pour nous unir à Dieu, bien qu’il ne nous exauce pas toujours. Malgré sa tristesse en face de la mort, le Sauveur s’unit à la volonté de son père. Dans le malheur nous accusons parfois Dieu qui désapprouve le pécheur. Rapprochons-nous le Dieu et fuyons la table des méchants : désapprouvons ce qu’ils aiment, comme Jésus à la table de Sinon était loin de son orgueil. Asseyons-nous avec les fidèles, afin de juger avec eux. Nous sommes donc ici-bas au temps de la nuit, ou de la miséricorde de Dieu qui nous éprouve comme il éprouva Job et les Apôtres. Extermination réservée à ceux qui ne se tourneront point vers lui.


1. Le premier verset de ce psaume centième contient tout ce que nous devons chercher dans tous les autres : « Je chanterai, le Seigneur, votre miséricorde et votre jugement ». Que nul ne compte sur la divine miséricorde, pour se promettre l’impunité ; car il y a aussi le jugement : et que nul pécheur converti ne redoute le jugement ; car il y a aussi la miséricorde. Quand les hommes jugent, ils se laissent parfois dominer par la miséricorde, et ils prononcent contre la justice : et alors ils ont, du moins en apparence, la miséricorde et non la justice ; souvent aussi, pour être trop sévères dans leurs jugements, ils perdent la miséricorde. Quant à Dieu, l’effusion de sa miséricorde ne lui fait point perdre la sévérité du jugement, et dans la sévérité du jugement il n’oublie point sa bonté miséricordieuse. Si nous remarquons bien l’ordre de ces deux expressions : miséricorde et justice, nous trouverons que ce n’est point sans raison qu’elles sont ainsi placées de manière à ne point dire justice et miséricorde, mais bien, « miséricorde et justice » : et au point de vue du temps, nous verrons que c’est aujourd’hui le temps de la miséricorde, et dans l’avenir le temps du jugement. Comment la miséricorde vient-elle tout d’abord ? Considère tout d’abord en Dieu les dons que tu as reçus, afin d’imiter ton Père céleste. Car il n’y a point arrogance de notre part à dire que nous devons imiter notre Père ; puisque Notre-Seigneur, le Fils unique de Dieu, nous y exhorte en disant : « Soyez semblables à votre Père céleste ». Après avoir dit dans l’Évangile : « Aimez vos ennemis ; priez pour ceux qui vous persécutent » ; il ajoute : « Afin que, vous soyez semblables à votre Père qui est dans le ciel, qui fait luire son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes et sur les injustes[1] ». Telle est la miséricorde. Quand tu vois les justes et les injustes contempler le même soleil, jouir de la même lumière, boire aux mêmes fontaines, s’enrichir aux mêmes pluies, récolter en abondance les mêmes fruits de la terre, respirer le même air, se partager aussi les mêmes biens de cette vie, garde-toi d’accuser d’injustice ce même Dieu qui donne également ces biens aux justes et aux injustes. C’est maintenant le temps de la miséricorde, et non celui de la justice. Si lotit d’abord il ne nous pardonnait dans sa miséricorde, il ne trouverait personne qu’il pût couronner dans son jugement. Il y a donc un temps de miséricorde, alors que le Seigneur amène les pécheurs à la pénitence par la patience.
2. Écoute l’Apôtre qui distingue ces deux

  1. Mt. 5,44-45