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DISCOURS SUR LE PSAUME 94[1].

LES JOIES CHRÉTIENNES.

La joie est légitime quand elle est selon Dieu. Le Prophète nous appelle auprès de Dieu afin de la goûter. On est près de Dieu quand on porte son image dans une vie pure, loin de lui quand on aime l’impiété. Dieu cherche son image en nous comme César son effigie sur sa monnaie. Il appelle donc auprès de Dieu ceux qu’une vie dissolue en éloignait. Que votre joie soit inexprimable, qu’elle éclate par l’aveu de nos fautes et par la Louange du Dieu qui les pardonne, du médecin qui guérit nos plaies. Chantons donc le Seigneur parce qu’il est au-dessus des simulacres des nations, au-dessus des dieux qui sont tels par la participation à sa grâce, parce qu’il ne repoussera point son peuple, ce peuple issu d’Abraham, dont plusieurs furent retranchés à cause de leur infidélité, mais dont le reste fut sauvé avec les Apôtres et avec les membres de la primitive Église, parce que les confins de la terre sont à lui, qu’il est La pierre angulaire, unissant la synagogue à l’Église des Gentils, qu’il a renversé les hauteurs de la terre qui le persécutaient, parce que sont à lui et la mer ou le monde avec ses scandales, où il proportionnera nos forces à l’épreuve, et la terre qu’il abreuve de ses grâces ; parce que nous sommes ses créatures, ses brebis accomplissant ses lois, et qu’il aura pour nous la bonté. Donc n’endurcissons pas nos cœurs comme les Juifs au désert, ils seront nos pères si nous les imitons ; s’il doit toujours y avoir des méchants pour irriter Dieu, prenons part au repos qu’il nous promet, comme il menace de la damnation les rebelles.


1. J’aimerais bien mieux, mes frères, que nous pussions écouter notre Père commun mais obéir à un Père est aussi une bonne œuvre. Donc, puisque nous en avons reçu l’ordre de celui qui daigne prier pour nous, j’exposerai à votre charité ce qu’il plaira à Dieu de m’inspirer au sujet de ce psaume. Il a pour titre : « Louange du cantique pour David lui-même ». Or, « louange du cantique » désigne la joie, parce que c’est un chant, et la piété parce qu’il y a une louange. Quel objet plus digne l’homme peut-il assigner à ses chants que ce qui lui plaît sans pouvoir jamais lui déplaire ? On peut donc louer sans crainte, quand on loue le Seigneur ; et celui qui chante une louange est en pleine sécurité quand il n’a point à rougir de celui qu’il chante. Louons donc le Seigneur, louons-le par nos chants, c’est-à-dire avec joie et allégresse. Le psaume nous indique dans les versets suivants, ce qu’il nous faut chanter.
2. « Accourez, chantons au Seigneur ». Il nous invite au grand festin de l’allégresse, non point à nous réjouir selon le monde, mais selon Dieu. S’il n’y avait point dans le monde une allégresse condamnable, qu’il faut distinguer de la sainte allégresse, il suffirait de dire « Accourez, et chantons ». Mais un seul mot marque la distinction. Qu’est-ce qu’une joie sainte ? Celle que l’on prend en Dieu. La joie est donc mauvaise quand elle est selon le monde, légitime quand elle est selon Dieu. Il te faut goûter en Dieu une sainte joie, si tu veux sans crainte mépriser le siècle. Mais pourquoi dire : « Venez ? » D’où vient qu’il appelle, qu’il fait venir ceux avec lesquels il veut se réjouir dans le Seigneur, sinon parce qu’ils sont loin encore de venir et de s’approcher, loin de s’approcher et d’arriver, loin d’arriver et de se réjouir ? Comment sont-ils loin ? Y a-t-il une distance locale entre l’homme et celui qui est présent partout ? Veux-tu t’éloigner de Dieu ? Où iras-tu pour en être loin ? Un homme encore pécheur, il est vrai, mais déjà pénitent, s’affligeant de ses péchés, espérant son salut, craignant la colère de Dieu et voulant l’apaiser, parle ainsi dans un autre psaume : « Où me dérober à votre esprit ? Où fuir votre face ? Si je monte au ciel, vous y êtes[2] ». Que faire donc ? Puisque, s’il monte au ciel, il y trouve Dieu ; où aller pour fuir loin de Dieu ? Vois ce qu’il dit : « Si je descends dans l’abîme, vous y êtes encore[3] ». Si donc en s’élevant au ciel, il y trouve Dieu, s’il n’évite pas Dieu quand il descend dans l’abîme, où irait-il pour éviter sa colère, sinon à ce même Dieu apaisé ? Et toutefois, bien qu’on ne puisse s’éloigner d’un Dieu qui est partout, s’il n’y avait des hommes éloignés de Dieu, l’Écriture ne dirait point : « Ce peuple m’honore

  1. Sermon prêché sur l’invitation d’Aurélien, de Carthage, ou plutôt de Valère, évêque d’Hippone, soit peu après, soit peu avant la promotion d’Augustin à l’épiscopat.
  2. Ps. 138,7
  3. Id. 8