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qui d’ailleurs lui était dû : et je ne veux point échapper à la tâche de chercher avec vous et, avec le secours de Dieu, de trouver ici un grand mystère. Gardons-nous de railler tout homme chauve, avec les fils de pestilence ; de peur qu’en raillant un certain chauve offert à notre respect, nous ne devenions la proie du démon. Elisée voyageait, et des enfants imprudents crièrent derrière lui : « Chauve, chauve » : et lui, pour nous donner un symbole de l’avenir, se tourna vers le Seigneur, et demanda que des ours sortissent de la forêt voisine pour les dévorer[1]. Tout jeunes qu’ils étaient, ils perdirent la vie du temps ; ils moururent dans l’enfance, eux qui seraient morts dans la vieillesse ; et leur trépas devint pour les hommes un symbole effrayant. Car alors Elisée figurait celui dont nous sommes les enfants, nous, fils de Coré, ou de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Votre charité doit voir dans l’Évangile pourquoi un homme chauve figurait le Christ, et se rappeler qu’il fut crucifié au Calvaire[2]. Soit donc que cette expression « aux fils de Coré », ait cette signification que nous lui avons donnée d’après les anciens ; soit qu’elle en ait une autre qui nous échappe : voyez au moins dans ce qui se présente maintenant un rapport plein de mystères. Les fils de Coré sont les fils du Christ. Car l’Époux nous appelle ses enfants, quand il dit : « Les fils de l’Époux ne peuvent jeûner, quand l’Époux est avec eux[3] ». Ces pressoirs donc, sont les pressoirs des chrétiens.
3. Or, Dieu nous met sous le pressoir et nous foule, afin que cet amour qui nous porte vers les biens du monde, biens terrestres, fugitifs et périssables, ait à souffrir dans ces mêmes biens, au milieu des misères qui nous accablent et des tribulations sans nombre, et afin que nous commencions à chercher ce repos, qui n’est ni en cette vie, ni en cette terre. Alors, comme il est écrit, le Seigneur devient le refuge du pauvre[4] ». Qu’est-ce à dire « le pauvre ? » Celui qui est dénué de tout secours, sans appui, sans-assistance, sans rien qui soutienne ses présomptions. C’est à ces pauvres que Dieu vient en aide. Quelles que soient en effet leurs richesses ici-bas, ces hommes s’inclinent devant cette parole de l’Apôtre : « Ordonnez aux riches de ce monde de n’être « point orgueilleux, et de ne pas mettre leur confiance en des biens sans consistance[5] ». Puis considérant combien est incertain ce qui leur causait de la joie, avant qu’ils entrassent au service de Dieu, c’est-à-dire avant qu’ils fussent sous les pressoirs, ils comprennent ou que ces richesses leur sont une cause de tourments, pour les gouverner avec prudence, pour les garder avec sûreté, ou s’ils ont eu pour elles quelque inclination, ils y ont trouvé plus de crainte que de vraie joie. Quoi de plus incertain qu’un bien avec cette inconstance ? Ce n’est point sans raison que l’on a donné à la monnaie une forme arrondie, parce qu’elle n’est point stable. Ces hommes, quels que soient leurs biens, sont néanmoins pauvres. Ceux qui ne possèdent rien, mais qui désirent posséder, sont au nombre des riches que Dieu doit condamner. Car Dieu n’envisage point la possession, mais la volonté. Que ces pauvres donc, privés de tout bien terrestre, et qui en comprendraient l’instabilité, s’ils les possédaient, qui gémissent devant Dieu, qui n’ont rien ici-bas qui leur plaise et les attache, qui sont dans les peines et dans les épreuves comme sous un pressoir, qu’ils fassent couler une huile pure, un vin généreux. Quel est ce vin et cette huile, sinon les saints désirs ? Dans leur détachement de la terre, ils n’ont plus rien à désirer que Dieu. Car ils aiment celui qui a fait le ciel et la terre. Ils l’aiment sans être encore avec lui. Dieu se refuse à leur désir, afin de l’accroître ; et il s’accroît afin de pouvoir enfin posséder Dieu. Ce qui doit combler ce désir n’est pas un bien médiocre, et on doit être exercé pour s’élever à la hauteur d’un si grand bien. Ce que Dieu doit donner, n’est point une de ses créatures, mais lui-même qui a tout créé. Exerce-toi, ô chrétien, à posséder Dieu ; désire longtemps ce que tu dois avoir toujours. Dieu condamna ceux des Israélites qui se hâtaient trop : partout l’Écriture condamne la précipitation de ceux qui ne savent attendre. Quels sont, en effet, ces impatients ? Ceux qui s’étant tournés vers Dieu, parce qu’ils ne trouvaient ici-bas ni le repos qu’ils cherchaient, ni les joies qu’ils se promettaient, manquent de courage au milieu du chemin, regardent comme trop long ce qu’il leur reste à vivre ici-bas, et

  1. 2 R. 2,23-24
  2. Mt. 27,33
  3. Id. 27,15
  4. Ps. 9,10
  5. 1 Tim. 6,17