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DISCOURS SUR LE PSAUME 83

ENCORE LES PRESSOIRS DE L’ÉGLISE.

Ces pressoirs désignent la vie d’affliction. L’olive et le raisin sont en paix sur l’arbre ; ainsi l’homme avant d’entrer au service de Dieu. Mais dès que nous y entrons, il faut nous dépouiller du vieil homme, comme le raisin du marc. Les fils de Coré sont les fils du Calvaire ou les chrétiens. Dieu donc nous met sous le pressoir afin de nous forcer k porter nos désirs au ciel. Se détacher des richesses de cette vie, c’est être pauvre ; on est, riche et condamnable quand on les désire, même sans les posséder. Au désir du vrai pauvre Dieu se donnera lui-même. Mais alors au lieu de regarder en arrière, jetons-nous en avant : nous serions plus coupables de chercher notre joie dans cette vie passée ; dans le vieil homme dont nous avons dû nous dépouiller. C’est donc l’Église qui aspire aux demeures célestes, qui n’a ici-bas d’autre joie que dans l’espérance. Son cœur et sa chair tressaillent, celui-là par de saints désirs, celle-ci par les œuvres extérieures. C’est la tourterelle qui cherche un nid, et ce nid est l’Église qui a la vraie foi, et qui nous sauve par nos œuvres. Le Prophète nous porte par les aspirations dans la maison du Seigneur, où nous posséderons Dieu lui-même, ne faisant rien par contrainte, mais bénissant Dieu par amour. C’est là que doit nous conduire la grâce, et plus vif sera notre désir, plus haute sera notre ascension, dont les degrés sont dans notre cœur. La loi montrait le péché sans le guérir, l’eau de la piscine ne guérissait qu’un seul malade quand elle se troublait ; ce trouble est l’image de la passion qui nous a guéris par la grâce, et le grâce nous conduira des vertus de cette vie à la vérité unique ou à Dieu, que nous verrons et vers qui nous élèvera l’humilité.


1. Le titre du psaume est « Pour les pressoirs[1] ». Et néanmoins, autant que votre charité a pu le remarquer avec nous, car je vous voyais écouter avec la plus vive attention, il n’est question dans le texte, ni de presse, ni de corbeille, ni de cuve, ni des instruments, ni même de la construction d’un pressoir ; nous n’y avons rien vu de tout cela. Aussi n’est-il point aisé de voir ce que signifie ce titre : « Pour les pressoirs ». Mais assurément, si après un titre semblable, il était question de tout ce que nous venons d’énumérer, les hommes charnels s’imagineraient qu’il s’agit de pressoirs visibles : or, comme après ce titre : « Pour les pressoirs », il n’est plus question dans aucun verset de tout ce que nos yeux découvrent dans un pressoir, il n’est plus douteux que l’Esprit de Dieu ne nous invite à chercher et à comprendre d’autres pressoirs. Rappelons donc à notre mémoire ce qui se fait visiblement dans les pressoirs, afin d’en voir la réalisation dans l’Église d’une manière spirituelle. La grappe de raisin pend à la vigne, et l’olive à l’olivier, car c’est à ces deux fruits qu’est réservé le pressoir et pendant que ces fruits sont à l’arbre, ils jouissent d’un certain air libre ; et avant le pressoir le raisin n’est pas du vin, l’olive n’est pas de l’huile. Ainsi en est-il des hommes, que Dieu avant tous les siècles a prédestinés à devenir conformes à l’image de son Fils unique[2], de cette grappe d’une admirable beauté foulée sous le pressoir de la passion. Ces hommes donc, avant d’entrer au service de Dieu, jouissent en cette vie comme d’une délicieuse liberté, ainsi que les raisins ou les olives suspendus aux branches. Mais comme il est dit. « Mon fils, lorsque vous entrerez au service de Dieu, demeurez ferme dans la justice et dans la crainte ; et préparez votre âme à la tentation[3] » : tout homme qui se consacre au service de Dieu doit savoir qu’il arrive au dressoir ; il sera foulé, pressé, broyé ; non pour périr en cette vie, mais pour couler dans les urnes du Seigneur. Il est dépouillé de ces enveloppes des charnelles convoitises, comme le vin est séparé du marc : alors s’accomplit en lui à l’égard des terrestres désirs cette recommandation de l’Apôtre : « Dépouillez-vous du vieil homme, et revêtez-vous de l’homme nouveau[4] ». Mais cela ne s’accomplit totalement que dans le pressoir. Aussi donne-t-on le nom de pressoir à l’Église de Dieu sur la terre.
2. Mais qui sommes-nous dans ces pressoirs ? Les fils de Coré. Car le Prophète ajoute : « Pour les pressoirs, aux fils de Coré ». Les fils de Coré se traduisent par les fils du chauve, autant que peuvent nous le dire ceux qui sont habiles dans cette langue, et qui ont voulu consacrer à Dieu leur ministère

  1. Ps. 83,1
  2. Rom. 8,29
  3. Sir. 2,1
  4. Col. 3,9-10