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Diras-tu qu’elle a son principe en toi-même ? Es-tu capable de te la donner ? Personne ne peut te donner ce qu’il n’a pas. Si donc tu es injuste, tu ne peux devenir juste qu’en te conformant à une règle immuable de justice ; tu deviens injuste dès que tu t’en éloignes : si tu t’en approches, tu deviens équitable. Que tu t’en éloignes, que tu t’en approches, elle est toujours la même. Où réside-t-elle donc ? Sur la terre ? Non. Si tu cherchais à y trouver de l’or ou des pierres précieuses, à la bonne heure ; mais, ne l’oublie pas, nous parlons de la justice. La chercheras-tu dans la vaste profondeur des mers, au sein des nuages, dans les étoiles, parmi les Anges ? Sans doute, elle habite au milieu des Anges, mais ils la puisent eux-mêmes à sa source ; elle se trouve en chacun d’eux, et elle ne procède toutefois que d’un seul principe. Élevé donc tes regards, monte au ciel, dirige-toi vers l’endroit où Dieu n’a parlé qu’une fois, et tu trouveras la source de la justice là ou se trouve la source de la vie. « Parce qu’en vous, Seigneur, est la source de la vie[1] ». De ce qu’avec tes faibles lumières tu crois pouvoir prononcer entre le juste et l’injustice, il ne suit nullement que l’injustice se rencontre en Dieu : trop souvent tu te trompes dans tes appréciations ; mais quand elles sont justes, à quoi le dois-tu, sinon à un rayon de la justice divine qui est descendu sur toi ? En lui donc se trouve la source de la justice. Ne cherche pas l’iniquité où l’on rencontre la pure lumière. Il est très possible que tu ignores la raison des choses. S’il en est ainsi, accuse ton ignorance ; souviens-toi de ce que tu es : pense à ces deux choses : « La puissance est à Dieu ; Seigneur, la miséricorde vous appartient. Ne cherche point à connaître ce qui est au-dessus de toi : ne sonde point la profondeur des conseils divins qui dépassent les bornes de ton intelligence ; qu’il te suffise de connaître les commandements du Seigneur, et que jamais tu n’en perdes le souvenir[2] ». À ces commandements se rapportent les deux choses entendues par Idithun : « La puissance est à Dieu ; et, Seigneur, la miséricorde vous appartient ». Ne crains pas ton ennemi ; il ne te fera jamais que ce qu’il a reçu le pouvoir de te faire : crains plutôt celui à qui appartient la puissance suprême : redoute celui qui peut faire tout ce qu’il veut, dont les œuvres, loin d’être entachées d’injustice, sont, au contraire, marquées au coin de la plus intègre justice. Nous supposions injuste telle ou telle chose : mais dès lors que Dieu l’a faite, sa justice est démontrée.
22. Quand un homme fait mourir un innocent, fait-il bien ou mal ? Certes, il fait mal. Pourquoi Dieu lui permet-il d’agir ainsi ? Avant de faire cette question, ne devrais-tu pas te souvenir que tu dois à Dieu ce commandement : « Partage ton pain avec le pauvre abrite ceux qui n’ont point d’asile, donne des vêtements à celui qui en manque[3] ? » La justice, de ta part, consiste à observer cette prescription divine : « Lavez-vous de vos taches, purifiez-vous : dépouillez-vous de votre malignité, éloignez-la de mes yeux, apprenez à faire le bien, à rendre justice à l’orphelin et à la veuve ; puis vous viendrez, et nous discuterons ensemble, dit le Seigneur[4] ». Tu prétends discuter avec Dieu commence par te rendre digue d’engager cette discussion, en accomplissant tes devoirs, et alors tu demanderas au Tout-Puissant raison de ses actes. O homme, il ne m’appartient pas de te faire connaître les desseins de l’Eternel : je n’en ai pas le pouvoir ; je me borne à te dire que le meurtre d’un innocent est un crime, et que ce crime n’aurait pas lieu, si Dieu ne le permettait pas ; et de ce qu’un homme se soit rendu coupable d’une telle faute, il ne suit pas du tout que le Seigneur ait participé à cette iniquité en la permettant. Sans examiner la cause de cet homme, au sort duquel tu t’intéresses si vivement, et dont la mort te fait verser des larmes : je pourrais te dire dès maintenant qu’il n’aurait pas été assassiné, s’il n’avait pas été coupable, et, par là, je me trouverais en opposition avec toi, puisque tu soutiens son innocence : encore une fois, je pourrais te faire cette réponse ; car, pour appuyer ton assertion sur une base sûre, pour dire avec apparence de raison, que cet homme a été injustement mis à mort, il faudrait avoir préalablement scruté son cœur jusque dans les plus secrets replis, examiné à fond tous ses actes, et disséqué chacune de ses pensées : or, tu ne l’as pas fait : je serais donc à même de clore ici la discussion. Mais tu me parles d’un juste ; qu’on a pu, sans contredit et sans aucun doute, appeler

  1. Ps. 35,10
  2. Sir. 3,22
  3. Isa. 58,7
  4. Isa. 1,16-18