Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome IX.djvu/174

Cette page n’a pas encore été corrigée

en effet que ces biens terrestres qui lui font servir Dieu, coulent en abondance chez ceux qui ne servent point le Seigneur, et le voilà qui chancelle, qui tombe en défaillance, qui disparaît avec les hymnes de David, parce qu’en de semblables cœurs il n’y avait plus de louanges. Qu’est-ce à dire, qu’en de semblables cœurs il n’y avait plus de louanges ? Qu’avec de telles pensées on ne bénit plus le Seigneur. Comment en effet bénir Dieu, quand peu s’en faut qu’on ne l’accuse d’injustice, parce qu’il donne tant de biens aux méchants, et qu’il en prive ceux qui le servent ? À ces hommes, Dieu paraissait n’avoir aucune bonté ; or, ceux qui ne voient en Dieu aucune bonté, sont loin de le louer, et comme ils cessent de louer Dieu, la louange fait défaut chez eux. Plus tard néanmoins ce peuple comprit ce que Dieu l’avertissait de chercher, quand il privait ainsi ses serviteurs des biens temporels qu’il donnait à ses ennemis, à des impies, à des blasphémateurs ; cet avertissement lui fit connaître qu’en outre des biens que Dieu donne aux bons et aux méchants, et dont il prive quelquefois les méchants comme les bons, il en est qu’il réserve particulièrement aux bons. Qu’est-ce à dire, qu’il réserve pour les bons ? Que leur réserve-t-il ? Lui-même. Nous pouvons, si je ne me trompe, aller rapidement dans le psaume ; nous le comprendrons avec le secours du Seigneur. Voyons revenir de ses erreurs et se repentir, celui qui avait cru que Dieu manquait de bonté, parce qu’il donnait aux méchants les biens terrestres et les refusait à ceux qui le servent. Il a compris ce que Dieu réserve à ses adorateurs ; dans cette pensée, et comme pour se châtier de cette erreur, il s’écrie :
7. « Quelle bonté chez le Dieu d’Israël ! » Mais pour qui ? « Pour ceux qui ont le cœur droit ». Qu’est-il pour l’impie ? Il paraît injuste. C’est ainsi que dans un autre psaume il est dit : « Vous êtes saint pour l’homme saint, innocent avec l’innocent, et pervers avec l’homme pervers[1] ». Qu’est-ce à dire « pervers avec le pervers ? » L’homme corrompu ne verra chez vous que corruption. Non que Dieu se puisse laisser corrompre. Loin de là : il est ce qu’il est ; mais de même que le soleil est agréable pour l’homme qui a les yeux purs, sains, fermes et vigoureux, tandis qu’il paraît avoir des aiguillons pour les yeux chassieux, qu’il est la joie de l’un, et le tourment de l’autre, non que lui-même change, mais bien l’objet qu’il frappe ; ainsi dès que tu seras corrompu, tu verras en Dieu la corruption, tu seras changé, mais non lui. Tu trouveras ton supplice dans ce qui fera la joie des bons. Telle est la pensée du Prophète qui s’écrie : « Combien est bon le Dieu d’Israël, pour l’homme au cœur droit ».
8. Mais pour toi, ô Prophète ? « Pour moi, mes pieds ont failli chanceller[2] ». Quand est-ce que les pieds chancellent, sinon quand le cœur n’est point droit ? Et d’où vient que le cœur n’était point droit ? Ecoute : « Peu s’en faut que mes pas ne glissent ». Tout à l’heure il disait : « Ont failli », maintenant « peu s’en faut » ; tout à l’heure : « Ses pieds chancelaient », maintenant « ses pas glissent ». Mes pieds ont failli chanceler, peu s’en faut que mes pas ne s’égarent. « Des pieds chancelants » ; mais dans quelle voie ont-ils chancelé, de quelle voie mes pas se seraient-ils égarés ? « Mes pieds chancelaient » pour s’égarer, « mes pas glissaient » pour tomber, non pas tout à fait, mais « presque ». J’allais à l’erreur, sans y être encore ; je tombais, mais je n’étais pas encore tombé.
9. Mais pourquoi ? « C’est », répond le Prophète, « que je porte envie aux pécheurs, en voyant la paix dont ils jouissent[3] ». J’ai considéré les pécheurs, je les ai vus dans la paix. Quelle paix ? Une paix temporelle, fragile, caduque et terrestre, mais telle cependant que je la désirais de Dieu. J’ai vu chez ceux qui ne servaient point le Seigneur, ce que je désirais pour prix de mes adorations ; et mes pieds ont chancelé, et mes pas ont presque glissé.
10. Mais il va vous dire en quelques mots pourquoi les méchants possèdent ces biens : « C’est que leur mort est inévitable, et que leur châtiment s’affermira. Aussi ne sont-ils point dans les travaux des hommes, et ne seront-ils point châtiés comme eux[4] ». J’ai compris, nous dit-il, pourquoi ils ont la paix et fleurissent ici-bas. C’est que leur mort est inévitable, c’est-à-dire que la mort est pour eux certaine, et qu’elle sera éternelle ; elle ne se détournera point d’eux, et ils ne pourront s’en détourner ; « c’est que leur mort est inévitable, et que leur châtiment s’affermira ». Un châtiment qui s’affermit, n’est plus un

  1. Ps. 17,26-27
  2. Ps. 72,2
  3. Id. 3
  4. Id. 4,5