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princes doivent rendre au Christ un si grand honneur, et toutes les nations le servir, ajoute : « Parce qu’il arrachera le pauvre des mains du puissant, ce pauvre qui n’a personne pour soutien[1] ». Ce pauvre, cet indigent, c’est le peuple qui croit en lui. Et dans ce peuple il est aussi des rois qui l’adorent, qui ne dédaignent pas de paraître pauvres et indigents, c’est-à-dire qui confessent leurs péchés, qui sentent le besoin de la gloire de Dieu, afin que ce roi fils du roi les délivre du puissant. Or, ce puissant est le même que le Prophète vient d’appeler calomniateur, et qui tient, non de sa propre force, mais des péchés des hommes, le pouvoir de les soumettre à sa tyrannie. C’est pourquoi il est appelé le fort, et ici le puissant. Mais celui qui a humilié le calomniateur, et qui est entré dans la maison du fort, afin de le garrotter et de lui enlever ses dépouilles[2], a « délivré aussi le faible des mains du puissant, et le pauvre qui était sans appui ». Nulle autre force, nul autre juste, pas même un ange n’eût pu le faire. Comme ces pauvres n’avaient aucun appui, le Christ est venu les sauver.
15. Mais on peut objecter : Si l’homme était au pouvoir du démon à cause de ses péchés, ces mêmes péchés plaisaient-ils donc au Christ pour qu’il délivrât le pauvre des mains du puissant ? Loin de là ; lui-même doit « pardonner au pauvre et à l’indigent[3] », c’est-à-dire remettre les fautes à l’homme humble, qui n’a pas confiance dans ses propres mérites, qui n’espère point son salut de sa propre force, mais qui sent le besoin de la grâce du Sauveur. « Et il sauvera les âmes des pauvres ». Le Prophète nous signale ainsi le double effet de la grâce ; et dans la rémission des péchés, quand il dit : « Il pardonnera au pauvre et à l’indigent » ; et dans la part qui nous est donnée à la justice, quand il ajoute : « Il sauvera les âmes des pauvres ». Nul en effet ne peut sans la grâce de Dieu se procurer le salut, qui est la justice parfaite. Car l’accomplissement de la loi, c’est la charité, et la charité n’existe point en nous par notre propre force, mais elle est répandue dans nos cœurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné[4].
16. « Il délivrera leurs âmes de l’usure et de l’iniquité[5] ». Quelles sont ces usures, sinon les péchés, que l’on nomme encore des dettes[6] ? On leur donne, je crois, le nom d’usures, parce qu’un pécheur souffre dans les châtiments un mal plus grand que celui qu’il a commis en péchant. Un meurtrier, par exempte, tue le corps d’un homme, et ne peut rien sur son âme : mais pour lui, il se condamne corps et âme à l’enfer. De là vient qu’à propos de ces contempteurs de la loi en cette vie, de ces railleurs du supplice à venir, il est dit : « Je viendrai pour exiger le salaire avec usure[7] ». Or, les âmes des pauvres sont délivrées de ces usures, par le sang qui a été répandu pour la rémission des péchés. Racheter de l’usure, c’est donc racheter du péché qui mérite un plus grand châtiment ; or, le Christ nous rachète de l’iniquité en nous donnant le secours de sa grâce pour pratiquer la justice. Il y a dès lors ici une répétition de ce qui a été dit plus haut : puisque « pardonner au pauvre et à l’indigent[8] », c’est le « délivrer de l’usure », et « sauver les âmes des pauvres », c’est les sauver « de l’iniquité » ; le mot « racheter » serait sous entendu dans l’un et dans l’autre cas. Et en effet, pardonner, c’est racheter de l’usure ; sauver, c’est racheter de l’iniquité. Ainsi « pardonner au pauvre et à l’indigent, et sauver les âmes des pauvres, c’est racheter leurs âmes de l’usure et de l’iniquité. Son nom sera pour eux un nom de gloire ». Car ils relèvent par des louanges le nom d’un si grand bienfaiteur, ceux qui répondent qu’il est digne et juste de rendre grâces au Seigneur leur Dieu. On trouve en d’autres exemplaires : « Et ton nom est glorieux à ses propres yeux ». Car si le monde ne voit dans les chrétiens que des hommes à mépriser, leur nom est grand devant celui qui le leur a donné, et qui ne se souvient plus, pour le leur reprocher3, du nom qu’ils portaient auparavant, lorsqu’ils étaient engagés dans les superstitions des Gentils, ou de ces noms qui désignaient leurs crimes avant qu’ils fussent chrétiens : voilà le nom qui est honorable à ses yeux, bien qu’il paraisse méprisable à nos ennemis.
17. « Et il vivra, et on lui donnera de l’or de l’Arabie[9] ». « Vivre » ; de qui ne peut-on point parler ainsi, quelque peu de temps qu’il doive passer sur la terre ? Le Prophète veut donc nous signaler cette vie du « Christ

  1. Ps. 71,12
  2. Mt. 12,29
  3. Ps. 71,13
  4. Rom. 5,5
  5. Ps. 71,14
  6. Mt. 6,12
  7. Id. 25,27
  8. Ps. 15,4
  9. Id. 71,15