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péché, même repos éternel. Le Christ, considéré dans sa personne particulière, n’est pas seul à souffrir : si nous le considérons dans son ensemble, il n’y a que lui pour souffrir. Si, en effet, le Sauveur t’apparaît comme tête et corps tout ensemble, lui seul est soumis à l’épreuve ; mais si tu ne vois en lui que la tête, cette épreuve a lieu en d’autres que lui. Si, en ce cas, l’épreuve n’atteignait que Jésus-Christ en qualité de chef, comment l’apôtre saint Paul, l’un de ses membres, dirait-il avec vérité qu’« il supplée, dans sa chair, à ce qui manque aux souffrances du Sauveur[1] ? » Qui que tu sois, dès lors que tu entends mes paroles, lors même que tu ne les entendrais pas encore (mais tu dois les entendre si tu appartiens au corps du Christ), qui que tu sois, sache-le bien : par cela même que tu fais partie des membres du Sauveur, les souffrances que te font endurer ceux qui ne sont pas de ce nombre, suppléent à l’insuffisance de celles du Sauveur. Il y manquait quelque chose, tu l’y ajoutes : tu en combles la mesure, sans qu’il y ait surabondance en elles : tu souffres dans la proportion de ce qu’attendait de toi le Sauveur, qui a souffert en sa propre personne, c’est-à-dire comme notre chef, et qui souffre dans ses membres, c’est-à-dire encore, en nous-mêmes. Nous composons tous ensemble une sorte de république, an bonheur de laquelle nous contribuons selon nos moyens et notre devoir ; et, dans la mesure de nos forces, nous formons comme un faisceau commun de souffrances. La somme de toutes ces souffrances n’arrivera à sa perfection qu’à la fin des temps. « Jusques à quand accablerez-vous un homme ? » Tout ce que les Prophètes ont souffert, depuis le jour où le juste Abel a perdu la vie jusqu’au jour où a été répandu le sang de Zacharie[2], a pesé sur cet homme, parce qu’avant l’Incarnation du Fils de Dieu il a existé des membres du Christ : il en avait été ainsi de ce patriarche qui, au moment de sa naissance, montra sa main avant de montrer sa tête[3], quoique sa main fût parfaitement unie à sa tête et ne fît qu’un avec elle. Mes frères, n’allez pas vous imaginer que tous ces justes qui ont souffert persécution de la part des méchants n’aient pas été du nombre des membres de Jésus-Christ ; et ce que je dis des justes du Nouveau Testament, je le dis aussi de ceux qui ont été envoyés par Dieu avant l’avènement du Sauveur pour l’annoncer. Pourrait-il, en effet, ne pas appartenir au corps du Christ, celui qui appartient à cette cité dont le Christ est le roi ? Cette cité sainte, cette Jérusalem céleste est une, et elle n’a qu’un roi, et son roi c’est le Christ ; car il lui parle ainsi : « Un homme appellera Sion sa mère » ; il l’appellera « sa mère, parce qu’il est homme. Car un homme appellera Sion sa mère, et cet homme a été formé en elle, et cet homme est le Très-Haut qui l’a fondée[4] ». Le roi de Sion, qui l’a fondée, le Très-Haut s’est fait homme en elle, et le plus humble de tous les hommes. Dans les temps qui ont précédé sa venue, il a envoyé quelques-uns de ses membres pour annoncer qu’il viendrait ; puis il les a suivis, uni à eux par les liens les plus étroits. Rappelle-toi les circonstances de la naissance de ce patriarche, dont je parlais tout à l’heure, et qui a préfiguré le corps mystique du Sauveur. Sa main était sortie du sein maternel avant sa tête, et pourtant elle était toujours unie à la tête, et sous sa dépendance. En exaltant l’excellence du premier peuple de Dieu, et en gémissant du malheur qu’avaient eu les branches naturelles d’être retranchées de l’arbre, l’Apôtre a dit du Sauveur[5] : « L’adoption des enfants de Dieu leur appartient : sa gloire, son alliance, son culte, sa loi et ses promesses ; leurs pères sont les patriarches, et c’est de leurs pères qu’est sorti, selon la chair, Jésus-Christ même, qui est le Dieu supérieur à tout, et béni dans tous les siècles. Jésus-Christ est donc né d’eux », comme de Sion, « selon la chair », parce qu’« il s’est fait homme en elle » ; parce que « le Christ, Dieu élevé au-dessus de tout, est béni dans tous les siècles » ; parce qu’« il est le Très-Haut, et qu’il l’a fondée ». Parce qu’« il est né d’eux, le Sauveur est fils de David » : il en est le Seigneur, parce qu’« il est le Dieu supérieur à tout, et que tous les siècles le bénissent[6] ». Les paroles du Psalmiste, que nous venons de citer, appartiennent donc à tous ceux qui ont fait partie des habitants de cette ville depuis le jour du meurtre du juste Abel jusqu’à celui de l’assassinat de Zacharie : par le sang innocent du Précurseur des Apôtres, des martyrs, des chrétiens fidèles, de toutes les parties de cette ville, de tous les membres de cet homme qui est le Christ, un cri se fait

  1. Col. 1,24
  2. Mt. 23,35
  3. Gen. 38,27
  4. Ps. 86,5
  5. Rom. 11,21
  6. Rom. 9,4-5