Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome IV.djvu/588

Cette page n’a pas encore été corrigée

Parmi les animaux, les chiens courent au-devant de leurs maîtres pour les caresser et les flatter : mais Jephté ne pouvait en faisant son vœu les avoir en vue : il eût paru faire outrage à Dieu en lui dévouant ce qui était, non-seulement illicite, mais méprisable et impur suivant la Loi. Il ne dit point d’ailleurs : Tout ce qui sortira des portes de ma maison je l’offrirai en holocauste, mais : « Quiconque sortira je l’offrirai ; » ce qui montre, sans aucun doute, que dans son esprit il est exclusivement question d’une personne humaine, quoique non pas peut-être de sa fille unique ; et toutefois qui pouvait la devancer pour aller à la rencontre d’un père couvert de tant de gloire ? Qui ? si ce n’est peut-être une épouse ? Il n’importe, en effet, qu’il ait dit, employant le genre masculin : « Quiconque, quicumque, sortira des portes de ma maison » au lieu de : celle qui ; l’Écriture à l’usage de se servir du genre masculin pour désigner les deux sexes : c’est ainsi qu’il est dit d’Abraham : « se levant d’auprès du mort[1] » bien qu’il soit question de la mort de sa femme.
7. L’Écriture paraît éviter de porter un jugement sur ce vœu et son accomplissement. Elle juge très-ouvertement le sacrifice d’obéissance d’Abraham ; mais pour le fait de Jephté, elle se borne à le rapporter, laissant aux lecteurs à l’apprécier. C’est ainsi qu’elle raconte sans blâme n approbation l’action de Juda, fils de Jacob, ayant commerce avec sa bru sans la connaître[2], ce qui fut seulement de sa part une fornication, parce qu’il prenait cette femme pour une prostituée elle laisse ainsi le jugement de cet acte à la conscience éclairée par la justice et la loi de Dieu. Or, dès là que l’Écriture ne juge pas le fait de Jephté, ni dans un sens, ni dans l’autre, mais en laisse l’appréciation à l’exercice de notre intelligence, nous pourrions déjà dire que ce vœu a déplu à Dieu, qui permit pour punir Jephté que sa propre fille unique vint la première au-devant de son père. Celui-ci, en effet, s’il avait compté sur cette rencontre, et qu’elle eût été dans son intention, n’aurait point déchiré ses vêtements à la vue de son enfant, et ne se serait point écrié : « Malheureux que je suis ! hélas ! Ma fille, vous êtes devenue un piège pour moi ; votre présence à mes yeux fait mon malheur. » Ajoutez qu’un long délai de soixante jours fut laissé à cette fille unique, si chérie, et que Dieu n’empêcha point le malheureux père de l’immoler, comme il avait empêché Abraham, mais qu’il le laissa accomplir son vœu, et se frapper lui-même par cette perte douloureuse, sans que cette immolation d’une créature humaine pût apaiser le Seigneur ; ainsi ce père fut châtié, et l’exemple de pareils vœux ne resta pas impuni, pour que les hommes apprennent que de vouer à Dieu comme victimes, leurs semblables, et ce qui est plus horrible, leurs enfants, c’est un vœu extrêmement grave, et aussi pour montrer que de tels vœux n’étaient point sincères, mais plutôt simulés, puisque leurs auteurs, appuyés sur l’exemple d’Abraham, espéraient que Dieu en empêcherait l’accomplissement.
8. Voilà ce que nous pourrions dire, si notre conviction n’était ébranlée par deux témoignages surtout des saintes Écritures, ce qui exige qu’un fait de cette gravité, rapporté dans des livres d’une autorité si grande, soit examiné avec l’aide de Dieu, plus soigneusement encore et plus attentivement, de peur qu’on ne juge avec témérité dans un sens ou dans un autre. Dans l’Épître aux Hébreux, Jephté est compté au rang des saints personnages, ce qui doit nous faire appréhender d’incriminer sa conduite. Nous lisons « Que dirai-je encore ? Le temps me manque pour raconter ce qu’ont fait Gédéon, Barac, Samson,.et Jephté, et David, et Samuel, et les Prophètes ; par la foi ils ont triomphé des royaumes ; opérant la justice, ils ont obtenu les promesses [3]. » Voilà le premier témoignage voici le second : quand l’Écriture raconte le vœu de Jephté et son accomplissement, elle fait précéder ce récit des paroles suivantes : « Et l’Esprit du Seigneur fut sur Jephté ; et il passa à travers Galaad et Manassé, il traversa les grottes de Galaad, et des grottes de Galaad il alla au-delà des fils d’Ammon, et Jephté fit vœu au Seigneur » et le reste qui concerne ce vœu. Par où il semble que tout ce que fit Jephté, après que l’Esprit du Seigneur fut sur lui, est l’œuvre de ce même Esprit. Car deux témoignages nous obligent à rechercher quelle fut la cause du fait en question, plutôt que de le condamner précipitamment.
6. Premièrement, quant au passage de l’Épître aux Hébreux que j’ai rapporté ; ce n’est pas seulement Jephté qui est mis au rang des personnages dignes d’éloge, mais encore Gédéon, dont l’Écriture dit pareillement : « L’Esprit du Seigneur

  1. Gen. 23, 3
  2. Id. 35, 2, 15
  3. Heb 11, 32.