Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome IV.djvu/578

Cette page n’a pas encore été corrigée

peut-il signifier autre chose, sinon que ces races infidèles, réservées pour la tentation, c’est-à-dire, pour l’épreuve des Israélites, n’avaient point été connues dans les combats par leurs ancêtres ? L’Écriture les énumérant ensuite : « Ce sont, dit-elle, les cinq satrapies des nations étrangères : » au livre des Rois elle les fait connaître plus explicitement [1]. On appelle satrapies des espèces de petits royaumes à la tête desquels étaient des satrapes : ce nom est ou a été en honneur dans ces contrées : « Ce sont tous les Chananéens, les Sidoniens, les Hévéens qui habitent le Liban devant le mont Hermon jusque Caboëmath ; et il arriva que par eux Israël fut tenté. » C’est comme si l’Écriture disait : Ceci arriva, afin que par eux Israël fût mis à l’épreuve pour « savoir s’ils écouteront les commandements du Seigneur » non pour que le Seigneur l’apprît, lui qui connaît tout, même les choses futures, mais pour qu’ils l’apprissent eux-mêmes, et que leur conscience leur rendit un bon ou mauvais témoignage touchant l’observation des commandements que le Seigneur « imposa à leurs pères dans les mains de Moïse. » Or, comme ils virent à n’en pas douter qu’ils n’avaient point obéi à Dieu au milieu des nations laissées pour les tenter, c’est-à-dire, pour les exercer et les éprouver, le Seigneur leur adressa en conséquence et ce reproche que l’ange, son messager, leur fit hautement et expressément, et ces autres paroles rapportées un peu auparavant : « Parce que cette nombreuse nation a délaissé mon testament que j’avais confié à leurs pères, et parce qu’ils n’ont pas obéi à ma voix ; moi, à mon tour, je me garderai de faire disparaître de devant eux un seul homme. »
4. Dieu ne veut détruire que peu à peu les ennemis de son peuple. Les bêtes sauvages, symbole des passions. – Au Deutéronome, Dieu, parlant de ces nations ennemies, dit : « Je ne les chasserai pas dans une seule année, de peur que la terre ne devienne déserte, et que les bêtes sauvages ne se multiplient chez toi. Je les chasserai peu à peu, jusqu’à ce que vous soyez multipliés, que vous ayez pris de l’accroissement, et que vous occupiez le pays[2]. Dieu pouvait exécuter cette promesse en faveur d’un peuple obéissant ; la destruction des races ennemies se fût accomplie progressivement à mesure que les enfants d’Israël se seraient multipliés, et quand leur accroissement aurait permis de ne pas laisser désertes les terres dont les habitants, leurs ennemis, auraient été anéantis. Quant à cette parole : « De peur que les bêtes sauvages ne se multiplient chez toi » je serais étonné si par ces bêtes sauvages l’Écriture n’avait pas voulu désigner les convoitises et les passions de la bête, qui naissent ordinairement au sein d’une prospérité terrestre rapidement obtenue. Dieu pouvait-il en effet exterminer les hommes, et se trouver impuissant pour détruire les bêtes sauvages, ou les nourrir ?
XVIII. (Ib. 3, 9.) Interversion. – « Et le Seigneur suscita un Sauveur à Israël et il les sauva ; » et comme si l’on demandait quel est ce Sauveur, « Gothoniel, dit-il, fils de Cénez. » Ce nom, Gothoniel, doit être pris ici comme étant à l’accusatif. Il faut remarquer que l’Écriture donne le nom de Sauveur même à un homme qui est l’instrument de Dieu pour sauver le peuple. « Les « enfants d’Israël crièrent au Seigneur, et le Seigneur suscita un sauveur à Israël et il les sauva, « Gothoniel, fils de Cénez, frère puîné de Caleb, et il les exauça. » Il y a ici une sorte d'inversion peu commune, celle que les Grecs appellent : interversion du discours. Si on met en avant ces paroles qui viennent ensuite : « Et il les exauça » le récit devient clair. En voici l’ordre : « Et les enfants d’Israël crièrent vers le Seigneur, et il les exauça, et le Seigneur suscita à Israël un Sauveur, Gothoniel, fils de Cénez, et il les sauva. » Il les sauva: si on rejette à la fin cette phrase intercalée dans le texte entre un Sauveur et Gothoniel, à l’accusatif, tout s’explique aisément.
XIX. (Ib. 3, 11.) Longue paix en Israël. – L’Écriture assure que pendant quarante ans la terre promise se reposa des guerres sous la judicature de Gothoniel. C’est tout ce que l’empire romain dans ces commencements put avoir de temps de paix, et seulement sous le roi Numa Pompilius.
XX. (Ib. 3, 19, 20.) Une parole à double sens est-elle un mensonge? – On peut demander s’il y eut mensonge de la part d’Aod, juge d’Israël, quand il tua Eglon, roi de Moab. En effet, comme il cherchait à le surprendre seul à seul, pour le frapper, il lui dit : « J’ai une parole secrète pour vous, ô roi » afin que le roi renvoyât tous ceux qui étaient avec lui ; quand cela fut fait, Aoddit de nouveau : « J’ai une parole de Dieu pour vous, ô roi. » Mais il se peut qu’il n’y ait point ici de mensonge : quelque fois l’Écriture donne le nom de parole à une action ;

  1. 1Sa. 6, 5, 16
  2. Exo. 23, 29-30