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permis de dire qu’il n’y a de vol que quand on l’ait du tort au prochain en dérobant secrètement ce qui lui appartient ; qu’il n’y a de calomnie formelle, que quand on nuit au prochain, en l’accusant d’un crime supposé. Mais pour le mensonge nous ne pouvons dire qu’il n’existe que quand il est nuisible au prochain : que le prochain soit lésé ou non, il y a mensonge, dès qu’on dit sciemment une fausseté. La question si importante de savoir si le mensonge peut parfois être juste, serait d’une facile solution, si nous, ne considérions que les commandements, sans tenir compte des exemples. Qu’y a-t-il en effet de plus positif que ce précepte : « Vous ne mentirez point ? » Cette formule ressemble à celle-ci : « Tu ne te feras point d’idole [1] : » ce qui ne peut jamais être licite. C’est ainsi encore qu’il est dit : « Vous ne commettrez point de fornication ; » or, qui dira que la fornication puisse être jamais permise ? Et encore : « Tu ne déroberas point ; » d’après la définition que nous avons donné, le vol ne peut jamais être juste. Et ensuite : « Tu ne tueras point », car, quand un homme est mis à mort pour une juste cause, c’est la Loi qui le frappe, et non pas vous : pourrait-on dire également que quand un homme ment pour un juste motif, c’est la Loi qui ment ? Mais les exemples compliquent extrêmement cette question. Les sages-femmes égyptiennes ont menti, et Dieu les en a récompensées[2]; Raab a menti en faveur des espions envoyés dans le pays, et ce mensonge fut son salut[3]. De ce que la Loi dit : « Vous ne mentirez point », faut-il conclure que dès lors il n’est plus permis de mentir même dans un cas semblable à celui où nous lisons que Raab usa de mensonge ? Il faut croire que le mensonge a été défendu, parce qu’il était injuste plutôt que de se persuader qu’il est devenu injuste, à cause de la défense. Les sages-femmes, avons-nous dit, furent récompensées, non pour leur mensonge, mais pour la grâce de la vie qu’elles accordèrent aux enfants des Hébreux ; leur faute, atténuée par leur bonté, ne fut que vénielle, mais n’en a pas moins constitué un péché. Ce que nous disions là, il est donc permis d’en faire l’application à la conduite de Raab : la délivrance des espions lui mérita sa récompense, et cette délivrance même rendit son mensonge digne de pardon. Or, le pardon suppose une faute. Mais il faut bien se garder de croire que les autres péchés ont un égal droit au pardon, quand ils ont pour excuse la délivrance de nos semblables. Une telle erreur serait la source de maux intolérables, et tout à fait dignes d’exécration.

LXIX. (Ib. 19, 13.) Défense de nuire au prochain. – « Tu ne nuiras pas au prochain. » Si les hommes savaient ce que c’est que de nuire et de ne pas nuire, l’observation de ce précepte général leur suffirait pour conserver l’innocence. Car tout ce qu’il est défendu de faire à autrui se résume dans ce commandement : « Tu ne nuiras pas au prochain. » C’est en ce sens qu’il faut entendre le précepte qui suit. « Tu ne raviras pas », c’est-à-dire, tu ne nuiras pas en ravissant ; autrement il pourrait arriver qu’on nuisit en évitant de ravir. Ainsi il faut prendre une épée aux mains d’un insensé, et on lui nuirait si on ne la lui ravissait comme on le doit.

LXX. (Ib. 19, 17,18.) Sur la correction fraternelle. – Pourquoi à la suite de ces recommandations : « Tu ne haïras point ton frère dans ton cœur ; tu reprendras ton prochain, et tu ne participeras point à son péché », ces mots qui suivent immédiatement : « Et ta main n’est pas vengée ? » Cela signifie-t-il : n’est pas punie pour.lemal qui se commet ? Ton intention est bonne, en effet, quand tu corriges ton prochain lorsqu’il pèche, pour que ta négligence ne te rende pas participant de son péché. C’est ce que recommande l’avis qui précède : « Tu ne haïras point ton prochain dans ton cœur. » Car, celui que tu reprends peut croire que tu le hais, bien que la haine ne soit pas dans ton cœur. Ou bien, par ces paroles : « ta main n’est pas vengée », le Seigneur ne recommande-t-il pas plutôt d’oublier les toits d’autrui et de ne point se laisser aller au désir de la vengeance ? Que veut dire en effet : vouloir tirer vengeance, sinon se réjouir ou se consoler des malheurs des autres ? C’est en ce sens que Dieu dit : « Tu ne te mettras pas en colère contre les enfants de ton peuple[4]. » Car la définition exacte de la colère, c’est le désir de la vengeance. Plusieurs exemplaires portent cependant : « Et ta main ne se vengera pas ; » c’est-à-dire, en reprenant ton frère, garde-toi de céder à la vengeance, mais consulté plutôt l’avantage, de celui que tu reprends.

LXXI. (Ib. 19, 28.) Sur les pratiques de deuil usitées parmi les païens. – « Tu ne feras pas

  1. Exo. 20, 4, 14-15, 13
  2. Exo. 1, 19-20
  3. Jos. 2, 4 ; 6, 23
  4. Exo. 20, 4, 14-15, 13