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emploie sa médiation, Dieu cependant ne laisse pas d’infliger un châtiment à son peuple. Car, pour inspirer à Moïse un tel amour, je ne sais comment Dieu les aimait lui-même plus secrètement, tout en leur adressant extérieurement des paroles menaçantes.
CL. (Ib. 33, 1-3.) Dieu par miséricorde s’éloigne de son peuple et il envoie un Ange.
– « Va, dit le Seigneur à Moïse, toi et ton peuple, que tu as tiré de la terre d’Égypte, va dans la terre que j’ai promise avec serment à Abraham, à Isaac et à Jacob, en disant : Je la donnerai à votre race. » Il parle encore à Moïse, et tout-à-coup, se servant d’une forme de langage que les Grecs appellent apostrophe, il s’adresse directement au peuple en ces termes:« J’enverrai en même temps mon Ange devant toi et il chassera le Chananéen, l’Amorrhéen, le Chettéen, le Phéréséen, le Gergéséen, l’Evéen et le Jébuséen, et il t’introduira dans un pays ou coulent le lait et le miel. Car je ne monterai pas avec toi, parce que tu es un peuple à la tête dure, de peur que je ne t’extermine dans le chemin. » Profond mystère qui ravit et qui étonne ! Ne dirait-on pas que l’Ange, épargnant ce peuple dont la tête est dure, surpasse Dieu en miséricorde, puisque Dieu ne ferait pas grâce, s’il était au milieu d’eux ? Et cependant c’est Dieu qui, absent en quelque sorte du milieu de son peuple, quoiqu’il ne puisse en réalité être absent nulle part, déclare qu’il accomplira, par le ministère de son Ange, les serments qu’il a faits à leurs pères : il semble montrer par là que s’il agit de la sorte, ce n’est pas qu’ils soient dignes de ses bienfaits, mais parce qu’il en a fait la promesse à leurs ancêtres qui étaient des saints. Que signifie donc cette parole : que Dieu ne sera pas avec eux, parce qu’ils ont la tête dure, sinon que l’humilité et la piété ont seules droit à sa miséricorde et à sa bonté ? Quand Dieu est avec les hommes dont la tête est dure, il est pour punir et pour exercer ses vengeances ; quand il n’est pas de la sorte avec les méchants, c’est donc dans des vues de miséricorde : ce qui justifie ces paroles : « Détournez votre visage de mes péchés[1]. » En effet, si Dieu envisage le péché, il renverse le coupable : « Comme la cire fond devant le feu, ainsi les pécheurs périssent devant Dieu[2]. »
CLI. (Ib. 33, 12-13.) Apparition de Dieu à Moïse.
– « Et Moïse dit au Seigneur : Voilà que vous me dites : Emmène ce peuple. Mais vous ne me faites pas voir qui vous envoyez avec moi. Cependant vous m’avez dit : Je te connais entre tous les autres, et tu trouveras grâce devant moi. Mais si j’ai trouvé grâce en votre présence, montrez-vous vous-même à moi, pour que je vous voie plus clairement, que je trouve grâce devant vous, et que je sache que cette nation est votre peuple. » Plusieurs interprètes latins ont traduit le terme grec gnosto par clairement ; l’Écriture ne dit pourtant pas phaneros. Il aurait peut-être été plus convenable de traduire : « Si j’ai trouvé grâce en votre présence, montrez-vous vous-même à moi afin que je vous voie de façon à vous connaître » paroles qui montrent assez que Moïse ne voyait pas Dieu avec toute la familiarité qu’il désirait. C’est que, dans ces visions divines accordées à des regards mortels, où se produisait un son qui atteignait une oreille mortelle, Dieu prenait la forme qu’il voulait et telle qu’il voulait ; alors sa nature divine, totalement invisible en quelque lieu que ce soit, incapable d’être contenue dans un espace quelconque, ne pouvait être perçue par aucun sens du, corps. Mais comme toute la Loi se résume en deux commandements, celui de l’amour de Dieu et celui de l’amour du prochain[3], Moïse manifestait un désir qui avait trait à l’un et à l’autre ; à l’amour de Dieu, quand il disait : « Si j’ai trouvé grâce en votre présence, montrez-vous vous-même à moi, afin que je vous voie clairement et que je trouve grâce devant vous » à l’amour du prochain quand il ajoutait : « Et afin que je sache que cette nation est votre peuple. »
CLII. (Ib. 33, 17.) En quel sens dit-on que Dieu connaît et ignore ? – Que signifie cette parole de Dieu à Moïse : « Je te connais entre tous ? » Est-ce qu’il y a du plus ou du moins dans la connaissance que Dieu a des choses ? Parle-t-il ici dans le sens de ces mots qu’il adresse dans l’Évangile à quelques-uns : « Je ne vous connais pas[4] ? » C’est en ce sens qu’on dit des choses qui sont agréables à Dieu, qu’il les connaît, et des choses qui lui déplaisent, qu’il ne les connaît pas, non qu’il les ignore, mais parce qu’il les désapprouve ; de même qu’on dit très-bien de l’art qu’il ne connaît pas le vice, parce qu’il le condamne. Dieu connaissait donc Moïse entre tous, parce que Moïse entre tous était agréable à Dieu.

  1. Ps. 50, 11
  2. Id. 67, 3
  3. Mt. 22, 37-40
  4. Id. 25, 12