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Mais dès lors que l’addition s’y trouve, la raison de ce précepte est évidente : il ordonne que quand nous rendons la justice, si nous voyons que le riche ait droit contre le pauvre, nous ne favorisions pas le pauvre contrairement à la justice, sous prétexte d’humanité. La miséricorde est donc bonne, mais elle ne doit pas être contraire au jugement, c’est-à-dire, pour interpréter ce mot de l’Écriture, à ce qui est juste. Dans la crainte qu’on ne conclue de cette maxime que Dieu défend la miséricorde, le texte qui vient ensuite dit avec beaucoup d’à propos : « Si tu rencontres le bœuf de ton ennemi, ou sa bête de somme, lorsqu’ils sont égarés, tu les ramèneras et les lui rendras » afin donc que tu saches que l’exercice de la miséricorde ne t’est pas défendu, pratique-la, même à l’égard de tes ennemis, quand tu le peux, en dehors de la justice : car en ramenant et en rendant à ton ennemi son bœuf égaré, tu n’es plus un, juge qui siège sur son tribunal et exerce ses fonctions.
LXXXIX. (Ib. 23, 10.) Sur le repos de la terre pendant la septième année.
– « Tu sèmeras ta terre pendant six ans, et tu en recueilleras les fruits ; mais tu feras relâche la septième année, et tu la laisseras reposer ; et les pauvres de ton peuple auront à manger : ce qu’ils laisseront, les bêtes sauvages le mangeront. Tu feras de même pour ta vigne et ton plant d’oliviers. » On peut demander ce que le pauvre trouve à recueillir, si le possesseur laisse ses champs sans même les ensemencer. Car ce n’est pas à la vigne, ni aux oliviers que se rapportent ces mots. « Les pauvres de ton peuple auront à manger » d’une terre non ensemencée, incapable de porter des moissons, ils n’auront rien à recueillir, et quant à la vigne et aux oliviers, il est dit qu’il faut faire la même chose : il s’agit donc ici des champs qui fournissent le froment. À ces paroles : « Tu sèmeras ta terre pendant six ans, et tu en recueilleras les fruits » faut-il donner l’interprétation suivante : pendant six ans tu sèmeras et tu recueilleras ; mais la septième année, tu ne recueilleras pas, sous-entendu, après avoir semé ? Ainsi pendant six ans, le possesseur sèmerait et recueillerait, mais la septième année il abandonnerait ce qu’il aurait semé ? Autrement qu’est-ce qui en reviendrait aux pauvres, dont les restes sont encore réservés aux bêtes sauvages, c’est-à-dire à celles qui peuvent se nourrir des mêmes aliments, tels que les sangliers, les cerfs et autres animaux d’espèce semblable ? Cette prescription doit néanmoins voiler quelques figures. Car, si Dieu en donnant les préceptes aux hommes, ne s’inquiète pas de bœufs[1] : – ce qui signifie, non qu’il ne nourrît pas les animaux qui ne sèment, qui ne moissonnent ni n’amassent point dans des greniers, mais que ses préceptes n’ont point pour objet de prescrire à l’homme le soin qu’il doit avoir de son bœuf ; – combien moins s’inquiète-t-il de lui prescrire le soin qu’il doit avoir des bêtes sauvages. Ne les nourrit-il pas lui-même des trésors qu’il a déposé dans le sein fécond de la nature, et – n’a-t-il pas soin de leur nourriture pendant les six années où l’on récolte ce que l’on a semé.
XC. (Ib. 23 19.) L’agneau ne doit pas être cuit DANS LE LAIT DE SA MÈRE.
– « Tu ne feras pas cuire l’agneau dans le lait de sa mère. » Est-il possible de prendre ce passage dans le sens propre et littéral, je n’en sais vraiment rien. Car si l’on admet que la défense de faire cuire l’agneau dans le lait symbolise quelque mystère, je réponds que l’usage de cuire un agneau dans le lait n’existe nulle part. Et si l’on veut que ces mots signifient : pendant qu’il est encore à la mamelle, quel est, observerai-je, le Juif qui a jamais attendu, pour faire cuire un agneau, qu’il cessât de téter ? Mais que signifie : dans le lait de sa mère; est-ce que, en admettant ce dernier sens, la loi ne serait pas transgressée si l’agneau, que l’on fait cuire ayant perdu sa mère, était allaité par une autre brebis ? Il n’est personne qui ne reconnaisse à cette loi un sens figuratif. Les prescriptions mêmes qui peuvent être observées à la lettre, n’ont pas été commandées sans motif ; elles ont leur signification. Ici je ne vois pas quel sens littéral a, ou pourrait avoir ce commandement. Cependant j’admets l’interprétation, qui y voit une prophétie relative à Jésus-Christ : il ne devait pas, dans son enfance, être mis à mort par les Juifs, mais échapper aussi à la cruauté d’Hérode, qui cherchait à le faire mourir[2] ; alors cette expression.:« Tu feras cuire » désignerait le feu de la Passion, en d’autres termes, la tribulation. L’Écriture ne dit-elle pas, en effet : « La fournaise éprouve les vases du potier, et l’épreuve de la tribulation, les hommes justes[3]. » Comme Jésus-Christ n’a point souffert dans son enfance, lorsque poursuivi par Hérode il semblait sur le point de succomber

  1. Cor. 9, 9
  2. Mt. 2, 16
  3. Sir. 27, 6