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se réfugier. » On demande quel est le sens de ces paroles : « S’il n’a pas voulu donner la mort, mais que Dieu ait livré entre ses mains. » Ne semblerait-il pas que celui qui commettrait un homicide volontaire, serait dans son droit, si Dieu ne faisait pas tomber la victime en ses mains ? Mais voici la signification de ce passage : quand l’homicide a été involontaire, Dieu seul intervient dans cet acte, et c’est précisément pour exprimer cette pensée, qu’il est dit : « Que Dieu a fait tomber la victime sous les coups » du meurtrier. Mais quand l’homicide a été volontaire, il y a à la fois l’intervention du meurtrier et celle de Dieu qui livre la victime entre ses mains. Dans le premier cas, apparaît donc exclusivement l’action de Dieu, dans le second, l’action de Dieu et l’action libre, volontaire de l’homme : seulement l’homme n’intervient pas à la manière de Dieu. Dieu en effet n’est que juste, tandis que l’homme est digne de châtiment, non pour avoir tué celui dont Dieu ne voulait pas la mort, mais pour avoir donné la mort injustement. Il n’a pas été l’instrument de la volonté de Dieu, mais l’esclave de sa malice et de sa passion. Dans un seul et même acte se trouvent donc réunis ces deux extrêmes Dieu, dont il faut bénir la justice mystérieuse, et l’homme, qui mérite la punition de son crime. Judas, qui a livré le Christ à la mort [1], n’est point excusable, parce que Dieu n’a pas épargné son propre fils et l’a livré pour nous tous[2].
LXXX. (Ib. 21, 22-25.) Sur l’avortement d’une femme, provenant d’une rixe entre deux hommes.
– « Si deux hommes se querellent ensemble et frappent une femme dans sa grossesse, et qu’elle mette au monde un enfant qui n’est pas formé, le meurtrier paiera l’indemnité que lui imposera le mari de la femme, sur sa demande. » Il me semble que l’Écriture a moins en vue les circonstances du fait qu’elle signale, qu’une signification particulière. Si elle n’avait en vue.quela défense de frapper une femme enceinte et de la faire avorter, elle ne parlerait pas de deux hommes qui se querellent ensemble ; un seul, dans une rixe avec cette femme, ou même sans querelle et uniquement dans le dessein de nuire à la postérité d’autrui, peut causer ce funeste résultat. Mais quand l’Écriture ne voit pas un homicide dans la mort donnée à un enfant qui n’est pas formé, c’est qu’elle ne considère pas comme un homme le fœtus encore en cet état dans le sein maternel. Ici l’on soulève ordinairement une question au sujet de l’âme : Ne peut-on pas dire que ce qui n’est pas formé encore, n’est pas même animé, et conséquemment qu’il n’y a pas homicide, puisqu’il est impossible d’ôter la vie à ce qui n’avait pas d’âme ? Qu’on lise encore ce qui suit : « Mais si l’enfant est formé, il donnera vie pour vie[3]. » Qu’est-ce à dire, sinon qu’il mourra ? Prenant occasion de là, le législateur établit pour les autres crimes des pénalités analogues : « Œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied, brûlure pour brûlure, blessure pour blessure, meurtrissure pour meurtrissure[4] » c’est la justice du talion. La loi mosaïque l’a établi, pour faire voir dans quelle mesure on avait le droit de tirer vengeance, Car si la Loi n’avait pas fixé cette règle, comment aurait-on connu la valeur du pardon ! Comment aurait-on pu dire ; « Remettez-nous nos dettes, comme nous remettons à ceux qui nous doivent[5] ? » La loi fait donc connaître le débiteur, afin qu’on mesure la valeur du pardon sur l’importance de la dette. Car nous ne saurions pas nous-mêmes ce que nous remettrions aux autres, si nous ne savions, par les prescriptions de la Loi, ce qui nous est dû. Si donc l’enfant existe déjà, mais informe en quelque sorte, quoique animé,(sur cette grande question de l’âme, il serait téméraire de prononcer à la hâte un jugement irréfléchi,) la Loi ne veut pas que ce soit un cas d’homicide. Supposé en effet qu’une âme vivante puisse exister dans un corps informe et par conséquent privé de sensibilité, on ne peut dire cependant que cette âme vit, tant que le corps n’est pas doué de ses sens. Quant à ces mots : « Et il paiera sur sa demande» μετὰ ἀξίωμὰτος l’indemnité que le mari fixera pour l’avortement, il n’est pas facile d’en déterminer le sens. Ἀξίωμα le mot grec correspondant, s’interprète de plusieurs manières, et la traduction la plus supportable est encore celle qui porte : « cum postulatione » sur sa demande. Peut-être cela signifie-t-il : il demandera qu’il lui soit permis de donner, afin de satisfaire à Dieu de cette manière, quand même le mari ou sa femme n’élèverait aucune prétention.
LXXXI. (Ib. 21, 28.) Le taureau qui aura attaqué de sa corne et tué un homme sera lapidé.
– « Si un taureau frappe de sa corne un homme ou

  1. Mt. 26, 48
  2. Rom. 8, 32
  3. Exo. 21, 23
  4. Exo. 16, 24-25
  5. Mt. 6, 12