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réelles, non des apparences sans réalité. Mais nous lisons : « La verge d’Aaron dévora leurs verges » or, si le serpenta pu dévorer les verges des magiciens, la verge ne le pouvait pas. Au lieu d’appeler la chose du nom de l’objet auquel elle a été changée, l’Écriture lui donne donc le nom qu’elle avait avant son changement, par la raison qu’elle est revenue ensuite à son premier état ; il convenait d’ailleurs de lui donner le nom qui exprimait sa nature principale. Mais que faut-il penser des verges des mages ? Furent-elles changées aussi en serpents véritables, et sont-elles appelées verges au même titre que la verge d’Aaron ? Ou plutôt, par un prestige de l’art magique, ne semblaient-elles pas être ce qu’en réalité elles n’étaient point ? Pourquoi donc les unes et les autres sont-elles appelées verges et serpents, sans aucune distinction, quand il est parlé de c es prestiges ? Si l’on admet que les verges des magiciens ont été changées en serpents véritables, une nouvelle et sérieuse difficulté se présente, car il faut démontrer que la création de ces serpents ne fut l’œuvre ni des magiciens, ni des mauvais anges par qui ils opéraient leurs enchantements. Or, parmi tous les éléments corporels de ce monde sont cachées des raisons séminales, qui, à l’aide du temps et d’une cause favorables, deviennent des espèces déterminées parleurs qualités et les fins qui leur sont propres.C'est pourquoi on ne dit pas des anges, par qui ces êtres arrivent à la vie, qu’ils créent des animaux, pas plus qu’on ne dit des laboureurs qu’ils créent les moissons, les arbres ou toute autre production de la terre, parce qu’ils savent utiliser les causes visibles et les circonstances favorables au développement. Ce que ceux-ci font d’une manière visible, les anges l’opèrent d’une manière invisible ; mais Dieu seul, est vraiment créateur, lui qui a déposé dans la nature les causes et les raisons séminales. Je dis tout cela en peu de mots ; mais pour le faire mieux comprendre et l’appuyer d’exemples et d’une discussion sérieuse, il faudrait un long traité ; la précipitation qui préside à ce travail me servira d’excuse.
XXII. (Ib. 7, 22.) Motif de l’endurcissement de Pharaon.
– « Mais les magiciens d’Égypte firent la même chose avec leurs enchantements : et le cœur de Pharaon s’endurcit, et, comme l’avait, dit le Seigneur, il ne les écouta point. » D’après ces paroles, il semblerait que le cœur de Pharaon s’endurcit parce que les enchanteurs Égyptiens imitèrent Moïse et Aaron ; mais la suite fera voir combien fut grande encore son obstination lorsque les enchanteurs eurent montré leur impuissance.


XXIII. (Ib. 8, 7.) Comment les magiciens purent imiter Moïse et Aaron, après la seconde plaie et la troisième.
– « Mais les enchanteurs Égyptiens firent la même chose par leurs sortilèges ; et ils firent venir des grenouilles sur la terre d’Égypte. » De quel endroit, demande-t-on, si déjà ce prodige était accompli partout ? Mais il faut demander aussi comment ils changèrent l’eau en sang, si déjà dans toute l’Égypte l’eau avait subi ce changement miraculeux. On doit donc supposer que le pays habité par les enfants d’Israël ne fut pas frappé de plaies semblables : alors les enchanteurs ont pu y puiser de l’eau qu’ils ont changée en sang, ou en tirer des grenouilles, uniquement pour montrer leur puissance magique. Rien n’empêche non plus d’admettre qu’ils se sont livrés à ces maléfices après que les vrais miracles eurent cessé. Le rapprochement des faits, dans le récit de l’Écriture, n’indique pas qu’ils se soient accomplis simultanément.
XXIV. (Ib. 8, 15.) Sur la patience de Dieu.
– « Et Pharaon vit qu’il y avait un peu de relâche, et son cœur s’appesantit, et comme le Seigneur l’avait dit, il ne les écouta point. » On voit ici que si Pharaon tomba dans l’endurcissement, ce ne fut pas seulement parce que les enchanteurs faisaient la même chose que Moïse et Aaron ; mais ce fut encore à cause de la patience et de la longanimité de Dieu. La patience divine à l’égard du cœur de l’homme est utile à quelques-uns, qui en profitent pour se repentir ; inutile à d’autres, qui en abusent pour s’obstiner contre Dieu et persévérer dans le mal : cependant son inutilité ne vient pas de sa nature, mais, ainsi que nous l’avons dit, de la dépravation du cœur. C’est aussi ce que dit l’Apôtre : « Ignores-tu que la patience de Dieu t’invite au repentir ? Mais par la dureté de ton cœur et par ton impénitence, tu l’amasses un trésor de colère pour le jour de la vengeance et de la manifestation du juste jugement de Dieu, qui rendra à chacun selon ses œuvres »[1]. Et ailleurs, après avoir dit : « Nous sommes partout la bonne odeur du Christ » il ajoute : « Et à l’égard de ceux qui se sauvent, et à l’égard de ceux qui se perdent[2]. » Il ne dit pas qu’il est la bonne odeur du Christ pour ceux qui se sauvent, et la mauvaise pour ceux qui se perdent : mais il dit qu’il est uniquement la bonne odeur. Or, ceux qui

  1. Rom. 2, 4-6
  2. 2 Cor. 11, 16