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seulement d’enseigner à parler, mais même d’ouvrir la bouche. Dieu ne dit pas, en effet : Ouvre ta bouche et je t’instruirai, mais il promet l’un et l’autre : j’ouvrirai, et j’instruirai. Il dit ailleurs, aux psaumes : « Ouvre ta bouche, et je la remplirai[1]. » Ces mots marquent, dans l’homme, la volonté de recevoir le don que Dieu fait à celui qui le veut. Ouvre ta bouche, voilà qui se rapporte au commencement de la volonté ; et je la remplirai, voilà l’œuvre de la grâce. Mais Dieu dit ici : « J’ouvrirai ta bouche, et je t’instruirai »

X. (Ib. 4,14-16.) Sur la colère de Dieu. — « Le Seigneur, ému de colère, lui dit. » La colère de Dieu, n’est pas chez lui, comme chez l’homme, le résultat d’un trouble déraisonnable ; une fois pour toutes, il faut retenir cette réflexion, et en faire usage dans les cas où L’Écriture emploie de pareilles expressions, afin que nous ne soyons pas obligés de redire souvent les mêmes choses. Mais on demande avec raison pourquoi, dans sa colère, il dit à Moïse que son frère parlera pour lui au peuple car il semble qu’il punit sa défiance en ne lui accordant pas le pouvoir très-étendu qu’il devait lui donner, et en voulant qu’ils soient deux pour accomplir ce qu’il aurait pu faire à lui seul, s’il avait eu confiance. Cependant toutes ces paroles, à les bien prendre, ne signifient pas que Dieu dans sa colère se vengea par les faveurs accordées à Aaron. Voici en effet ce qu’il est dit : « Aaron ton frère, fils de Lévi, n’est-il pas là ? Je sais qu’il parlera de sa propre bouche. » Ces paroles font voir que Dieu le reprend plutôt de ce que, ayant un frère qui pouvait dire de sa part au peuple ce qu’il voudrait, il s’excuse d’obéir, sur son incapacité, et objecte qu’il a la voix grêle et la langue embarrassée, tandis qu’il aurait dû tout attendre de Dieu. Ce qu’il avait promis peu auparavant, le Seigneur le confirme après la colère qu’il a éprouvée. Il avait dit en effet : « J’ouvrirai ta bouche, et je t’instruirai » il dit maintenant : « J’ouvrirai ta bouche et la sienne, et je vous instruirai de ce que vous devez « faire » mais comme il ajoute : « Et il parlera pour toi au peuple » il semble avoir ouvert la bouche à Moïse, parce qu’il s’était plaint que sa langue fût embarrassée. Quant à sa voix grêle, Dieu ne la change point, mais pour y suppléer, il lui donne l’aide de son frère, dont la voix pourra suffire à enseigner le peuple. Ce qu’il dit : « Tu mettras mes paroles dans sa bouche » fait bien voir que Moïse devait charger son frère du soin de les exprimer : car si Aaron devait seulement les entendre comme le peuple, c’est à ses oreilles et non dans sa bouche qu’il fallait les faire arriver. Il dit un peu plus loin : « Il parlera pour toi au peuple, et il sera ta bouche » sous-entendu, ici, devant le peupla. Et quand il dit : « Il parlera pour toi au peuple » Dieu fait assez entendre que Moïse tient la première place, et qu’Aaron ne tient que la seconde. Enfin dans ces dernières paroles : « Et toi, tu le représenteras dans tout ce qui a rapport à Dieu » se cache peut-être un mystère profond figuré par Moïse, médiateur entre Dieu et Aaron, tandis que celui-ci est médiateur entre Moïse et le peuple.

XI. (Ib. 4,24-25.) Sur la rencontre de Moïse avec l’Ange qui vient le mettre à mort. — « Et il arriva que l’Ange se présenta à lui dans le chemin, au moment du repas, et cherchait à le mettre à mort ; et Séphora, ayant pris une pierre, circoncit la chair de son fils ; et elle se jeta à ses pieds et dit : Le sang de la circoncision de mon fils s’est arrêté. Et l’Ange se retira de lui ; c’est pourquoi Séphora dit : Le sang de la circoncision a cessé. » Sur ce texte on fait d’abord cette question : était-ce Moïse que l’ange voulait mettre à mort, puisqu’il est dit : « L’ange vint au-devant de lui et cherchait à le faire mourir ? » Car à qui pensera-t-on que l’ange se présenta, si ce n’est à celui qui était en tête de tous les siens et leur servait de guide ? Ou bien l’ange voulait-il la mort de l’enfant, que sa mère sauva par l’opération de la circoncision ? Dans ce cas, l’Ange aurait voulu la mort de l’enfant parce qu’il n’était pas circoncis, et ce châtiment sévère eût été la sanction du précepte de la circoncision. S’il en est ainsi, on ne voit pas à qui s’appliquent ces paroles qui précèdent : « Il cherchait à le mettre à mort » il faut rester dans l’ignorance à ce sujet, à moins que la suite ne le découvre. Assurément l’Écriture, se sert d’une locution fort extraordinaire, quand elle dit : « Il se présenta à lui et cherchait à le tuer » à propos de quelqu’un dont elle n’avait pas parlé auparavant. Mais la même manière de parler se trouve dans le Psalmiste : « Ses fondements sont établis sur les montagnes saintes ; le Seigneur aime les portes de Sion[2]. » Tel est en effet le début du Psaume, et rien n’avait été dit auparavant de celui ou de celle à qui il est fait allusion dans ces

  1. Psa. 80,11
  2. Psa. 85,1-2