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Le sens de ces paroles : « Vous êtes des espions » est celui que j’ai déjà donné : Vous serez dignes du châtiment des espions, c’est-à-dire, vous serez, à raison de votre mensonge, considérés comme des espions. D’ailleurs on peut dire : Vous êtes pour : Vous serez regardés, Vous serez considérés ; c’est ce qu’on voit par d’innombrables expressions équivalentes. Telles sont, par exemple, ces paroles d’Élie : « Celui qui aura exaucé par le feu, celui-là sera Dieu[1]. » Ce qui ne signifie pas : sera Dieu, mais sera reconnu pour Dieu.
CXL. (Ib. 42, 23) Sur ce passage : Ils ignoraient que Joseph les entendait, car il y avait un interprète entre eux.
– Lorsque l’Écriture rapporte que les enfants d’Israël, touchés de repentir, disaient entre eux qu’ils avaient mal agi envers leur frère Joseph, et que le danger où ils se voyaient était un juste châtiment permis de Dieu, pourquoi ajoute-t-elle ces paroles : « Ils ignoraient que Joseph les entendait, car il y avait un interprète entr’eux ? » Voici le sens de ce passage : ils croyaient que Joseph ne les entendait pas, parce que l’interprète ne lui disait rien de ce dont ils s’entretenaient entr’eux ; ils pensaient qu’il n’avait recours à un interprète, qu’en raison de l’ignorance où il était de leur langue ; et que l’interprète ne prenait point la peine de traduire à celui qui l’employait ce qui ne s’adressait point à lui, mais formait l’objet de leurs conversations particulières.
CXLI. (Ib. 42, 24.) Réticence.
– « Et, étant de nouveau revenu auprès d’eux, il leur dit. » L’Écriture n’ajoute pas ce qu’il leur dit. Ce qui signifie qu’il leur adressa de nouveau les paroles qu’il leur avait déjà fait entendre.
CXLII. (Ib. 42, 38.) Encore sur l’enfer.
– « Vous conduirez ma vieillesse avec douleur en enfer. » Jacob veut-il dire que c’est la tristesse qui le conduira en enfer, ou, quand même la tristesse ne l’accablerait pas, qu’en mourant il descendra en enfer ? L’enfer est l’objet d’une question importante, et il faut observer en quel sens l’Écriture emploie ce mot, dans tous les endroits où elle vient à l’employer.


CXLIII. (Ib. 43, 28.) Sur l’argent des frères de Joseph.
— Ces paroles de l’intendant de la maison : « Votre Dieu et le Dieu de vos pères vous a donné des trésors dans vos sacs ; quant à votre argent, je l’ai vérifié, j’en suis content » semblent renfermer un mensonge, mais il faut croire qu’elles renferment un sens caché. Cet argent, donné et resté intact, puisqu’il est rapporté qu’il fut trouvé bon, signifie ce qui est dit ailleurs : « Les paroles du Seigneur sont des paroles chastes, un argent passé au feu, éprouvé au creuset, purifié sept fois[2] » c’est-à-dire parfaitement.
CXLIV. (Ib. 43, 34.) Que signifie « s’enivrer ? »
– « Or, ils burent et s’enivrèrent avec lui. » Les hommes sensuels s’autorisent souvent de ce passage, et s’appuient, non sur l’exemple des enfants d’Israël, mais sur celui de Joseph, dont la haute sagesse est l’objet de tant d’éloges ; mais en lisant attentivement les Écritures avec attention, on trouvera beaucoup d’endroits, où le mot s’enivrersignifié se rassasier. Par exemple, celui-ci : « Vous avez visité la terre et vous l’avez enivrée, et.vousavez mis le comble à ses richesses[3] » comme ces paroles expriment des bénédictions et marquent un don de Dieu, on voit clairement que le mot enivrement signifie rassasiement. Car il n’est pas utile à la terre d’être enivrée à la manière des ivrognes, parce qu’elle se corrompt par l’humidité, quand elle en est pénétrée au-delà de ce qui lui est nécessaire ; il en est ainsi de la vie des ivrognes, qui, ne se contentant pas de ce qui leur suffit, se plongent dans une sorte de déluge.

CXLV. (Ib. 44, 15.) Sur la science divinatoire de Joseph. – « Ne saviez-vous pas qu’un homme tel que moi découvre ce qui est caché ? » On demande ordinairement ce que signifient ces paroles de Joseph à ses frères ; ce que c’est que cette divination dont son intendant, d’après son ordre, a déjà parlé à ses frères. Parce qu’il ne parlait pas sérieusement, mais par jeu, comme la suite le démontre, faut-il ne pas voir un mensonge dans ces paroles ? Les menteurs, en effet, mentent sérieusement, et non par plaisanterie ; et quand on dit, pour rire, des choses qui ne sont pas, cela ne s’appelle pas mensonge. Mais voici une question plus grave : que signifie la conduite de Joseph, quand il se joue tant de fois de ses frères, avant de se faire connaître à eux, et les laisse plongés dans une si grande incertitude ? Il est vrai que toutes ces particularités sont d’autant plus attachantes à la lecture, qu’elles furent plus surprenantes pour ceux à qui elles arrivèrent ; cependant, eu égard à la gravité et à la sagesse de Joseph, à moins qu’une signification importante ne fût attachée à cette

  1. 1Ro. 18, 24
  2. Psa. 11, 7
  3. Psa. 64, 10