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entré en Égypte, les Égyptiens virent que « cette femme était très belle. » Comment est-il possible qu’Abraham, à son entrée en Égypte, ait voulu cacher que Sara était sa femme, comme l’affirment tous les textes relatifs à cet événement ? Cette conduite est-elle digne d’un si saint personnage ; ou faut-il y voir, avec plusieurs interprètes, une défaillance de sa foi ? J’ai déjà soutenu sur cette matière une controverse avec Faustus[1] ; et le prêtre Jérôme a parfaitement démontré que si Sara est demeurée plusieurs jours à la cour du roi d’Egyte, il ne s’ensuit par qu’elle ait contracté aucune souillure avec ce prince[2]. C’était en effet une coutume établie que le roi n’admettait ses femmes qu’à tour de rôle, et nulle d’entre elles n’avait accès auprès de lui qu’après s’être longtemps servie de poudres et de parfums pour l’ornement de sa beauté. C’est pendant ces préparatifs que Dieu affligea Pharaon. Il voulut le contraindre à rendre à son mari, sans l’avoir déshonorée, la femme que celui-ci avait confiée à Dieu lui-même, laissant ignorer que celle-ci était son épouse, mais ne mentant point non plus lorsqu’il disait qu’elle était sa sœur : son dessein était d’empêcher tout ce qu’il lui était possible humainement, et de se confier à Dieu pour le reste. Il craignait, en s’en remettant à Dieu seul, même pour ce qu’il pouvait empêcher, d’être trouvé non pas homme de foi, mais coupable du péché de tenter Dieu.


XXVII. (Ib. 13, 10.) Ce qu’était le Paradis.
– Quand l’Écriture compare la contrée de Sodome et de Gomorrhe, avant ses désastres, au Paradis de Dieu, parce qu’elle était arrosée, et à l’Égypte que le Nil fertilise ; elle montre assez, à mon avis, ce qu’était le paradis que Dieu créa pour y placer Adam. Je ne vois pas en effet que le paradis de Dieu ait été autre chose. Et certes, si les arbres à fruits du paradis devaient être, suivant l’opinion de quelques-uns, considérés comme des vertus de l’âme, il ne serait pas dit de cette contrée qu’elle était « comme le paradis de Dieu », puisqu’il n’y aurait pas eu en réalité de paradis terrestre, planté d’arbres véritables.
XXVIII. (Ib. 13, 14.) Étendue de la promesse faite à Abraham.
— « Lève les yeux et regarde du lieu où tu es au Septentrion et au Midi, à l’Orient et du côté de la mer : tout ce pays que tu vois, je te le donnerai et à ta postérité pour toujours. » On demande ici ce qu’il faut entendre parce pays, promis à Abraham et à sa postérité, égal en étendue à ce que ses yeux pouvaient embrasser aux quatre points cardinaux. Qu’est-ce en effet que le rayon visuel de notre œil peut atteindre dans un regard jeté sur la terre ? Mais la question n’a plus de raison d’être, si l’on considère que la promesse porte plus loin ; car il n’a pas été dit : Je te donnerai autant de pays que tu en vois, mais : «Je te donnerai la terre que tu vois. » Quand donc Abraham recevait par surcroît le pays même environnant qui s’étendait plus loin, celui qui était sous ses yeux n’en était certainement que la partie principale. Il faut remarquer encore ce qui suit : dans la crainte qu’Abraham lui-même ne crût aussi que la promesse comprenait exclusivement le pays qu’il pouvait découvrir ou voir autour de lui : « Lève-toi, lui est-il dit, parcours le pays dans sa longueur et dans sa largeur ; parce que je te le donnerai. » Dieu veut qu’en parcourant le pays, il voie de près celui qu’il n’aurait pu découvrir en se tenant sur un point isolé. Or, cette terre, que le peuple d’Israël reçut d’abord en partager figure la race d’Abraham selon la chair ; non point cette postérité plus étendue selon la foi, qui, pour ne pas le passer sous silence, devait être selon la promesse comme le sable de la mer ; expression hyperbolique, il est vrai, mais cette postérité ; devait être si nombreuse que nul ne pourrait la compter.


XXIX. (Ib. XIV. 13.) Pourquoi le surnom « qui est d’au-delà du fleuve » donné à Abraham ?
– « Et il annonça à Abraham qui est d’au-delà du fleuve. » C’est un surnom que les exemplaires grecs eux-mêmes donnent assez clairement à Abraham : mais pour quel motif ? C’est, apparemment, parce qu’il traversa l’Euphrate en quittant la Mésopotamie, pour venir se fixer dans la terre de Chanaan, et ce surnom d’au-delà du fleuve lui vient du pays qu’il abandonna. C’est pourquoi Jésus, fils de Navé, dit aux Israélites : « Quoi ? voulez-vous adorer les dieux que vos « pères ont servis au-delà du fleuve ? »


XXX. (Ib. 15, 12.) Sur le trouble d’Abraham.
– Il est écrit : « Vers le coucher du soleil, Abraham fut saisi de peur et tomba dans une grande épouvante. » C’est une question à traiter, parce qu’il y en a qui prétendent que l’âme du sage est inaccessible à ces frayeurs. Est-ce ici quelque chose de semblable à ce que rapporte Agellius dans son ouvrage des nuits Attiques ? Un philosophe fut effrayé dans une grande tempête élevée sur la

  1. Contre Faustus, liv. 22. ch. 33, 34
  2. S. Jérôme, Quest. sur la Gen.