Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome IV.djvu/327

Cette page n’a pas encore été corrigée

naturelle, quand elle essaie de contempler cette clarté qu’elle ne peut soutenir. Néanmoins, c’est à cette lumière qu’elle doit tout ce qu’elle comprend dans la mesure de ses forces. Lors donc qu’elle est ravie dans ces régions et que soustraite aux impressions de la chair, elle est en face de cette vision qu’elle, contemple en dehors de l’espace, d’après le mode purement rationnel, elle aperçoit au-dessus d’elle cette lumière qui l’aide à découvrir tout ce qu’elle voit, même en elle, par l’intelligence.

CHAPITRE XXXII. OU VA L’ÂME DÉPOUILLÉE DU CORPS ?


60. Veut-on savoir si l’âme, une fois sortie du corps, va dans un lieu, si elle rencontre un séjour qui renferme non les corps, mais des représentations matérielles, ou enfin si elle s’élève au-dessus des corps et de leurs images ? Je réponds sans hésiter que l’âme ne peut s’en aller dans un lieu à moins d’avoir un corps et que sans corps elle ne peut être transportée dans un lieu. A-t-elle un corps après être sortie de celui qu’elle habitait ici-bas ? Qu’on le démontre si on le peut. Pour moi, je n’en crois rien ; l’homme après la mort est à mes.yeuxspirituel sans aucun organisme. Selon ses mérites l’âme vole vers les choses spirituelles, ou descend dans un séjour de peine qui est l’image d’un lieu, semblable à celui qu’ont vu certaines personnes, lesquelles ravies hors de leurs corps et presque mortes, ont contemplé les peines de l’enfer et devaient par conséquent garder certains rapports avec le corps, puisqu’elles pouvaient être transportées dans un pareil séjour et y éprouver de pareilles sensations. Car, je ne comprendrais pas que l’âme gardât une certaine analogie avec son corps dans des visions où, le corps étant inanimé sans d’être complètement mort, elle vient contempler un spectacle pareil à celui que nous ont dépeint une foule de personnes revenues ensuite à elles-mêmes, et qu’elle ne pût la garder lorsque la mort l’a séparée absolument du corps. Ainsi, donc elle va ou ressentir des peines ou goûter un repos et une joie qui comme les peines représentent les mêmes sentiments, les mêmes émotions qu’on éprouverait avec le corps.
61. N’allons pas croire en effet que ces peines, ce repos et cette joie soient chimériques ; les représentations de la réalité ne sont fausses qu’autant que, dans un moment d’illusion, on prend l’apparence pour la réalité et réciproquement. Lorsque Pierre voyait la nappe et les animaux symboliques, il se trompait en prenant ces ligures pour des corps vivants[1]. Quand il était délié par l’ange, qu’il marchait, qu’il exécutait tous ces mouvements réels en se croyant dupe d’un songe[2], il se trompait encore. Sur la nappe, en effet, étaient des symboles qui lui semblaient des réalités ; sa délivrance, qui s’accomplissait sous ses yeux, par là même qu’elle était surnaturelle, lui semblait une pure imagination. Mais dans les deux cas l’illusion consistait à prendre l’image pour la réalité et la réalité pour l’image. Les émotions de plaisir ou de peine, que les âmes éprouvent après la mort, ne sont donc pas des impressions physiques ; elles les représentent, puisque les âmes se voient elles-mêmes comme si elles avaient leurs corps ; mais elles n’en sont pas moins des émotions réelles de joie ou de peine que ressent une substance immatérielle. Quelle différence n’y a-t-il pas entre un songe triste ou riant ! Bien des gens, qu’un songe avait mis au comble de leurs désirs, ont été fâchés de se réveiller ; d’autres, après un songe où ils avaient été exposés aux alarmes les plus vives, aux supplices les plus cruels, tremblent à la pensée de se rendormir, de peur de revoir apparaître les mêmes souffrances. Or on ne peut douter que les représentations des tortures infernales ne soient plus vives et par conséquent ne causent des souffrances plus affreuses. En effet ceux qui ont été soustraits à l’influence des organes plus complètement que dans le sommeil, quoique moins absolument que par la mort, disent qu’ils ont vu des représentations d’une énergie bien supérieure à celles des Anges. L’enfer est donc, selon moi, une réalité spirituelle et non physique.

CHAPITRE XXXIII. DE L’ENFER. – QUE L’ÂME EST IMMATÉRIELLE. – DU SEIN D’ABRAHAM.


62. Il ne faut pas écouter les gens qui prétendent que l’enfer se fait sentir dans la vie présente et qu’il n’est rien après la mort. Qu’ils expliquent ainsi les fictions des poètes, c’est leur affaire ; notre devoir est de ne pas nous écarter des paroles de l’Écriture, à qui seule nous devons ajouter foi sur ce point. Il nous serait néanmoins facile, de prouver que les philosophes

  1. Act. 10, 11-12
  2. Id. 12, 7-9