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où Adam vécut de la vie des sens, était le symbole et de la vie des justes ici-bas, au sein de l’Église, et de la vie éternelle qui doit la suivre : c’est ainsi que Jérusalem, qui signifie vision de la paix, tout en étant ici-bas une cité terrestre, désigne soit la mère éternelle et céleste de ceux « qui sont sauvés en espérance et qui attendent avec constance ce qu’ils ne voient pas encore[1] » cette mère qui a fait dire « que la femme délaissée avait plus d’enfants que celle qui avait un époux[2] ; soit la mère des saints Anges qui voient éclater dans l’Église la sagesse multiple de Dieu[3] » et en compagnie desquels nous vivrons après ce pèlerinage, sans fin comme sans souffrance.

CHAPITRE XXIX. Y A-T-IL PLUSIEURS DEGRÉS DANS. LA VISION SPIRITUELLE OU RATIONNELLE, COMME IL Y A PLUSIEURS CIEUX


57. En admettant que tel soit le troisième ciel où fut ravi l’Apôtre, faut-il croire qu’il y ait un quatrième ciel ou même plusieurs autres au-dessus ? Quelques-uns en comptent huit, d’autres neuf ou même dix : ils en distinguent même plusieurs superposés dans le seul qu’on appelle firmament : de là, pour prouver que ces cieux sont matériels, des raisonnements, des conjectures qu’il serait trop long d’analyser ici. S’il y a plusieurs cieux, on peut soutenir, démontrer peut-être que les visions spirituelles et rationnelles admettent aussi différents degrés, où l’on atteint selon que l’on a reçu des révélations plus ou moins claires. Quelle que soit la valeur et le nombre de ces hypothèses, je ne connais pour ma part et je ne puis enseigner que ces trois ordres de vision. S’agit-il de définir les espèces dans chacun des trois genres et les degrés divers dans chaque espèce ? Je reconnais mon ignorance.

CHAPITRE XXX. LA. VISION SPIRITUELLE EST TANTÔT INSPIRÉE TANTÔT NATURELLE.


58. La lumière visible enveloppe le ciel que nous voyons au-dessus de la terre et dans lequel brillent les lumières et les astres, corps bien supérieurs aux corps terrestres ; il en est de même de la lumière immatérielle qui, dans la vision spirituelle, éclaire les représentations des corps. Les visions de cette sorte, en effet, sont parfois supérieures et divines et ont pour principe l’action surnaturelle des Anges ; nous communiquent-ils leurs pensées par une intime et toute-puissante union avec nos esprits, ont-ils un moyen mystérieux de former les visions au-dedans de nous ? C’est une question difficile à résoudre et plus encore à formuler avec précision. Parfois au contraire, les visions appartiennent à l’ordre naturel commun : elles naissent sous mille formes dans notre esprit ou s’y élèvent à la suite des impressions que nous ressentons selon nos dispositions physiques et morales. Les hommes en effet ne se contentent pas de se figurer leurs occupations et de les concevoir dans la veille ; ils songent à leurs besoins en dormant ; c’est alors qu’ils conduisent leurs affaires à leur gré et que tel s’était couché dans les tourments de la faim et de la soit, qui dévore en songe les mets et les vins exquis. Entre ces visions et celles qu’envoient les Anges, il y a le même intervalle, j’imagine, qu’entre les choses du ciel et celles de la terre.

CHAPITRE XXXI. DANS LA VISION INTELLECTUELLE, IL FAUT DISTINGUER ENTRE LES IDÉES QUE L’ÂME CONÇOIT ET LA LUMIÈRE QUI LES ÉCLAIRE. DIEU EST LA LUMIÈRE DE L’ÂME.


59. On peut faire la même remarque pour les visions rationnelles : elles nous offrent des objets qui se voient dans l’âme même, par exemple, les vertus, opposées aux vices, tantôt celles dont l’usage est éternel, comme la piété, tantôt celles qui sont indispensables à cette vie mais qui cessent de s’exercer avec elle, comme la foi qui nous fait croire ce que nous ne voyons pas encore, l’espérance qui nous fait attendre avec fermeté l’avenir, la patience qui nous aide à supporter l’adversité, jusqu’à ce que nous ayons atteint notre but. Ces vertus sont nécessaires en ce monde pour accomplir notre pèlerinage ; elles cesseront dans cette autre vie qu’elles servent à nous faire conquérir. Cependant nous les concevons par l’intelligence en elles-mêmes : car elles ne sont ni des corps ni des représentations corporelles. Mais ces vertus sont distinctes de la lumière qui éclaire l’âme et qui lui révèle dans toute sa vérité ce qu’elle conçoit en elle-même ou au sein de cette lumière. La lumière en effet est Dieu lui-même, tandis que l’âme est une créature qui malgré sa raison, son intelligence, sa ressemblance avec Dieu, vacille par sa faiblesse

  1. Rom. 8,24-25
  2. Gal. 4, 26, 27
  3. Eph. 3, 10