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ils du bon esprit ? Le fidèle interprète des mystères devient un véritable prophète, quand il unit au don devoir les signes celui de les saisir, et qu’il voit d’avance les temps qu’il a mission de dévoiler.ets'en fait l’historien.

CHAPITRE XX. LES VISIONS QUI NAISSENT A L’OCCASION DU CORPS, N’ONT PAS LE CORPS POUR CAUSE VÉRITABLE.


42. Le corps sans doute peut-être le point de départ de ces visions, mais il ne saurait les faire paraître : il est incapable, en effet, de produire aucune forme immatérielle. Quand l’effort de l’âme ne peut arriver jusqu’au cerveau, centre des mouvements sensibles, à la suite du sommeil, ou d’une perturbation dans les organes, ou d’un obstacle qui lui ferme le passage, l’âme à qui son activité essentielle ne permet pas d’interrompre ses fonctions, devient incapable de sentir ou du moins de sentir pleinement par le ministère des sens et de diriger son activité vers le monde extérieur ; elle s’occupe alors à concevoir les objets avec le concours de l’esprit, ou à contempler les images qu’elle rencontre devant elle. Si elle enfante ces représentations toute seule, ce sont de pures imaginations : si elles s’offrent à elle et fixent ses regards, il y a vision. D’ailleurs, quand on a mal aux yeux ou qu’on est aveugle, l’effort de l’âme pour voir ne trouve plus dans le cerveau son moteur habituel : ce genre de vision disparaît donc, quoique l’obstacle opposé à la perception des corps vienne du corps même. Aussi les aveugles perçoivent-ils plus souvent les images dans la veille que dans le sommeil. En effet quand ils sont endormis, le canal par où passe dans le cerveau l’effort que fait l’âme pour atteindre jusqu’aux yeux, s’assoupit en quelque sorte, et l’effort prend une autre direction : ils voient les images en songe comme si les réalités étaient devant eux ; au sein même du sommeil, ilsse figurent être éveillés et croient voir les corps dont la représentation seule les frappe. Au contraire, quand ils sont éveillés, l’effort que l’âme fait pour voir suit sa route accoutumée et trouve en arrivant aux yeux une barrière infranchissable : ils comprennent donc mieux qu’ils veillent, qu’ils sont plongés dans les ténèbres, même en plein jour, qu’ils ne le font pendant leur sommeil le jour ou la nuit. Quant à ceux qui ne sont point aveugles, il leur arrive souvent de dormir les yeux ouverts rien ne frappe leur vue, mais ils n’en ont pas moins l’esprit frappé des images qui passent devant eux pendant ce rêve. Veillent-ils les yeux fermés ? ils n’ont plus ni les visions qui accompagnent la veille, ni celles qui surviennent dans le sommeil. Néanmoins, ils ont cet avantage que les organes qui transmettent la sensation du cerveau jusqu’aux yeux n’étant ni assoupis, ni interceptés, ni paralysés, et par conséquent laissant un libre passage à l’activité de l’âme jusqu’aux barrières de l’organisme, toutes fermées qu’elles sont, ils peuvent concevoir les images des corps sans être condamnés à les prendre pour les corps mêmes qui tombent sous les yeux.
43. Il importe seulement de discerner dans quelle partie des organes réside l’obstacle qui empêche de percevoir les corps. L’obstacle est-il à l’entrée ou pour ainsi dire à la porte des sens, je veux dire dans l’œil, dans l’oreille et dans tout organe ? La perception des corps est suspendue sans doute, mais l’activité de l’âme ne se tourne pas ailleurs avec assez de force pour qu’elle transforme l’image en réalité. L’obstacle est-il dans l’intérieur du cerveau, le centre d’où partent tous les chemins que la sensibilité suit jusqu’au monde extérieur ? Les organes que l’âme emploie pour voir ou sentir la réalité, s’assoupissent, se déconcertent ou même se paralysent. Or, l’âme ne perd pas son activité avec les moyens de l’exercer ; elle se forme donc des images si ressemblantes des choses, qu’elle ne peut plus distinguer l’apparence de la réalité, ni savoir si elle est en face des corps ou de leurs représentations : en fût-elle capable, ce sentiment est bien plus obscur que la conscience claire avec laquelle on conçoit les images, lorsque l’esprit les produit ou les voit apparaître. C’est là un mode de l’imagination qu’on ne peut guère concevoir que par expérience : de là venait ce songe dans lequel j’avais pleine conscience de me voir, quoique je fusse endormi, sans toutefois pouvoir distinguer l’apparence de la réalité avec autant de précision que nous le faisons, lorsque nous réfléchissons les yeux fermés ou plongés dans l’obscurité. La possibilité de pousser son activité jusqu’aux yeux, fussent-ils fermés, ou la nécessité de prendre une autre direction devant un obstacle que présente le cerveau, point de départ de ses mouvements, établit donc pour l’âme une situation bien différente : dans ce dernier cas elle a beau avoir conscience qu’elle voit des apparences et non des réalités, elle a beau voir que le corps n’a pas d’intelligence et deviner que ces visions viennent de l’esprit et non des organes, elle est