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ne dissimulerai pas ma pensée, tout en évitant de prendre un ton d’autorité qui ferait rire les savants, ou de m’imposer aux ignorants comme un docteur : je cherche, je discute, sans avoir de prétention à la science. Donc toutes ces visions ressemblent, selon moi, à celle des songes. Celles-ci sont tantôt vraies, tantôt fausses, tantôt agitées, tantôt paisibles ; quand elles sont vraies, elles représentent exactement l’avenir et l’annoncent clairement, ou bien encore elles le font pressentir par des signes obscurs et comme par des expressions figurées : il en est de même de celles-là. Mais l’homme est ainsi fait : il étudie l’extraordinaire, cherche le principe des phénomènes les plus étranges, et reste indifférent à ces merveilles qui, quoique plus communes, ont souvent une cause plus mystérieuse. Par exemple, entend-il prononcer un mot peu usité ? vite il en cherche le sens ; le sens trouvé il remonte à l’étymologie ; et cependant, que de mots d’un emploi journalier dont la dérivation ne l’inquiète guère ? Il en est de même pour tous les faits de l’ordre physique ou moral : dès qu’ils sont extraordinaires, on se hâte d’en rechercher la nature et les causes, ou bien on presse les habiles d’en rendre compte.
40. Quand on me demande ce que signifie un mot, par exemple catus(avisé), je commence par répondre, prudeus, (prudent), acutus(pénétrant) ; si cette réponse ne suffit pas et qu’on me demande d’où vient le mot catus, je répète la même expression, acutus, et je force de remonter à son origine. On l’ignorait aussi bien que celle de catus; et comme l’expression était ordinaire, on s’accommodait fort bien de son ignorance ; mais du moment qu’un calot rare avait frappé l’oreille, on se ne contentait plus d’en savoir le sens, on voulait en connaître l’étymologie. Eh bien ! qu’on me demande pourquoi il apparaît des images dans l’état extraordinaire qu’on appelle extase ; je demanderai à mon tour pourquoi nous envoyons dans nos songes, phénomène journalier qui ne frappe personne ou qu’on ne s’empresse guère d’étudier. Est-il donc moins étonnant, parce qu’il est journalier ; moins digne d’attention, parce qu’il est général ? On croit faire preuve d’esprit en ne s’occupant pas d’un songe ; on devrait à plus forte raison demeurer indifférent aux visions. Pour moi, une chose me frappe et me confond bien plus que les visions dans un songe ou même dans une extase ; c’est la facilité la promptitude avec laquelle l’âme produit en elle-même l’image des corps qu’elle a vus par le ministère des yeux. Quelle que soit la nature de ces images, il est incontestable quelles ne sont pas corporelles. Si, trouvant cette notion insuffisante on veut savoir de quel principe elles sortent, qu’on s’adresse ailleurs ; j’avoue sur ce point mon ignorance absolue.

CHAPITRE XIX. D’OÙ NAISSENT LES VISIONS ?


41. Quant aux propositions suivantes, on peut les déduire d’une foule d’expériences. La pâleur, la rougeur, les frissons, les maladies mêmes ont pour cause tantôt le corps, tantôt l’âme ; le corps, par l’effet des humeurs, de la nourriture et de tout ce qui agit du dehors sur les organes ; l’âme, par l’effet des passions, comme la crainte, la honte, la colère, l’amour : il est d’ailleurs naturel que plus le principe qui anime et régit le corps est soumis à des émotions violentes, plus il communique a son tour une impulsion énergique. De même, le mouvement qui emporte l’âme vers des images que l’esprit et non les sens lui communiquent, et cela avec tant de force qu’elle ne distingue plus entre le fantôme et la réalité, part tantôt des organes, tantôt de l’esprit. Il vient du corps, comme dans les songes, par une conséquence naturelle du passage de la veille au sommeil, le sommeil étant un phénomène tout relatif au corps ; il en vient aussi à la suite des perturbations que la maladie cause dans l’organisme, par exemple, dans le délire, quand on perçoit les objets extérieurs et que néanmoins on prend les images des corps pour les corps eux-mêmes ; il y prend enfin naissance, quand l’action des sens a été complètement suspendue, comme il arrive à ceux qui, frappés d’une attaque violente, ont pour ainsi dire voyagé longtemps hors de leur corps immobile et qui, rendus au commerce de la société, racontent mille choses qu’ils ont vues. En revanche, ce mouvement vient de l’esprit, lorsque l’on éprouve, en pleine santé, un transport tel que l’on perçoit parla vue les objets extérieurs et que néanmoins on découvre des fantômes qu’on ne peut distinguer d’avec la réalité ; ou tel que hors de soi-même et devenu complètement étranger aux opérations des sens, on vit au milieu des images par l’effet d’une vision spirituelle. L’esprit malin communique-t-il ces transports ? on devient possédé, convulsionnaire, faux prophète : viennent-