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qui doive surprendre. Ils peuvent en effet le connaître, non seulement par la vivacité de leur vue infiniment supérieure à la nôtre, mais encore par la prodigieuse vitesse qu’ils doivent à leurs corps si subtils.
35. J’ai connu un homme tourmenté par l’esprit impur : il avertissait de l’instant où partait le prêtre qui venait le visiter, quoiqu’il y eût une distance de douze mille ; il marquait durant toute sa route l’endroit où il se trouvait, son approche, le moment où il entrait dans le village, dans la maison, dans la chambre, jusqu’à ce qu’il le vit en face de lui. Il fallait bien que ce malade, pour parler si juste, vit toute la suite du voyage de quelque manière, encore qu’il ne pût la voir des yeux. Il avait la fièvre et débitait tout cela comme s’il avait été en délire. Peut-être était-il réellement en délire, et passait-il à cause de cette frénésie pour être possédé du diable. Il refusait toute nourriture de la main de ses proches, et n’en voulait prendre que de la main du prêtre. Il opposait encore à ses proches toute la résistance dont il était capable : le prêtre arrivait-il ? aussitôt il se calmait, répondait avec docilité et obéissait en tout. Cependant le prêtre ne put le délivrer de cette frénésie ou de cette possession ; le mal ne le quitta qu’avec la fièvre, comme il arrive à ces sortes de malades, et depuis lors il ne ressentit jamais rien de semblable.
36. J’ai aussi parfaitement connu un homme, agité d’une véritable frénésie, qui avait prédit la mort d’une femme : il ne donnait pas cet évènement pour une prophétie, mais comme un fait accompli et il avait l’air de s’en souvenir. Chaque fois qu’on lui en parlait il disait : elle est morte, je l’ai vu enterrer ; le convoi a suivi telle direction. Or, elle était encore à ce moment en pleine santé ; quelques jours après elle mourut subitement, et son convoi passa par où cet homme l’avait prédit.
37. J’ai eu chez moi un garçon qui, à l’entrée de la puberté, éprouvait d’épouvantables souffrances ; les médecins ne pouvaient deviner la cause de sa maladie ; une humeur visqueuse et cuisante lui sortait des entrailles et lui brûlait les cuisses [1]. La crise était intermittente ; au moment où elle éclatait, il poussait des cris déchirants, en agitant tous ses membres, sans toutefois perdre la raison, comme s’il avait été tourmenté par une douleur très vive, mais naturelle. Bientôt après, tout en parlant il devenait insensible et paralysé. Ses yeux ouverts ne reconnaissaient aucun des assistants, on le piquait sans lui causer la moindre impression. Puis il avait l’air de s’éveiller et de ne plus souffrir ; il révélait ce qu’il voyait. Au bout de quelque jours la même crise reparaissait. Dans toutes où presque toutes ses visions il prétendait voir deux hommes, l’un âgé, l’autre encore enfant : c’étaient eux qui lui disaient ou qui lui montraient tout ce qu’il nous racontait avoir vu ou entendu.
38. Il vit un jour un chœur de justes qui chantaient des psaumes et qui s’abandonnaient à leur allégresse au sein d’une lumière éblouissante d’un autre côté, il dit les supplices affreux que subissaient à divers degrés les impies au milieu des ténèbres. Ces deux guides lui montraient ce spectacle et lui expliquaient comment les méchants avaient mérité ces tourments, les justes, cette félicité. Il eut cette vision le jour de Pâques, après avoir été durant tout le Carême à l’abri des attaques, qui auparavant lui laissaient à peine trois jours de trêve. Il avait vu à l’entrée du Carême ces deux hommes qui lui avaient promis que pendant quarante jours il ne sentirait pas la moindre douleur. Plus tard ils lui indiquèrent une opération chirurgicale, qui effectivement le délivra pour longtemps de ses souffrances. La douleur étant revenue et avec elle les mêmes visions, il reçut d’eux un nouveau conseil c’était de se jeter dans la mer jusqu’à la ceinture et d’y rester quelque temps ; ils l’assurèrent que désormais, à l’abri de toute souffrance, il ne serait plus gêné que par le flux de l’humeur visqueuse : ce qui eut lieu. Jamais depuis on ne le vit perdre l’usage de ses sens ni avoir des visions comme au temps où, se taisant brusquement au milieu d’atroces douleurs et de cris épouvantables, il éprouvait ces transports. Les médecins réussirent plus tard à guérir son corps, mais il ne persévéra pas dans la vie sainte qu’il avait résolu de mener.

CHAPITRE XVIII. DES DIFFÉRENTES CAUSES DES VISIONS.


39. Si je connaissais un homme capable de rechercher les causes et la marche de ces sortes de visions ou de divinations et de les rattacher à un principe sûr, j’aimerais mieux l’écouter, je l’avoue, que de faire attendre de moi une explication aussi difficile. Cependant je

  1. Dolorem acerrimum genitalium patiebatur, medicis nequaquam valentibus quid illud esset agnoscere, nisi quod nervus ipse introrsum reconditus erat, ita ut nec praeciso praeputio, quod immoderata longitudine propendebat, apparerepotuerit, sed postea vix esset inventus Humor autem viscosus et acer exsudai testes et inguina urebat.