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CHAPITRE XIV. LA VISION RATIONNELLE N’EST JAMAIS UN LEURRE. L’ILLUSION DANS LES DEUX AUTRES N’EST PAS TOUJOURS DANGEREUSE.


Il n’est pas difficile en effet de reconnaître Satan quand il en vient à donner des conseils et des inspirations contraires soit à la morale soit aux dogmes : bien des gens alors distinguent ses pièges. Le don de Dieu consiste à le reconnaître dès l’instant où la plupart le prennent encore pour un bon ange.
29. Cependant les visions sensibles, comme la vision spirituelle, sont pour les bons, un moyen d’édification et pour les méchants une source d’illusions. Quant à la vision rationnelle, elle n’est jamais un leurre. En effet, on ne la comprend pas, lorsqu’on y découvre un sens qu’elle n’a pas, et si on la comprend, on est en possession de la vérité. Les yeux n’en peuvent mais, quand ils voient un objet tout semblable à un autre, sans pouvoir distinguer le fantôme de la réalité ; l’esprit est également réduit à l’impuissance, quand il se forme en lui une image qu’il est incapable de distinguer d’avec les corps eux-mêmes. La raison au contraire cherche l’idée ou la leçon utile que la vision peut offrir ; la découvre-t-elle ? c’est un heureux profit ; ne réussit-elle pas ? elle reste dans le doute, afin de n’être pas entraînée à quelque erreur fatale par une dangereuse témérité.
30. La raison maîtresse d’elle-même et éclairée d’en haut distingue vite les cas où l’on peut se tromper sans danger, et même le degré où l’erreur est innocente. Il n’y a aucun péril à prendre pour un homme de bien un méchant hypocrite, quand onne.setrompe pas sur les principes mêmes qui font le véritable homme de bien. S’il était dangereux de prendre pendant son sommeil l’image d’un corps pour le corps même, il n’eût pas été sans péril pour Pierre de se figurer qu’au moment où un Ange le délivrait de ses fers et marchait devant lui, il était dupe d’une vision[1], ou de s’écrier dans l’extase dont nous avons parlé : « Seigneur, je n’ai jamais rien mangé d’impur ni de souillé » en prenant pour de véritables animaux les images représentées sur la nappe[2]. Ainsi, quand on s’est trompé sur les objets qu’on avait cru voir, cette illusion ne doit inspirer aucun remords, si on n’a point à se reprocher une opiniâtre incrédulité, une interprétation orgueilleuse ou impie. Quand donc le démon nous trompe par des visions sensibles, les yeux peuvent être dupes sans péril, à condition qu’on ne s’écarte ni des vérités de la foi, ni de cette rectitude d’esprit dont Dieu se sert pour instruire ceux qui lui sont soumis. De même encore, quand il fait illusion à l’âme en lui offrant, dans une vision spirituelle, une image si ressemblante de la réalité qu’on la prend pour la réalité même, l’âme ne court d’autre danger que de s’abandonner à ses perfides insinuations.

CHAPITRE XV. DES SONGES IMPURS : QU’ILS PEUVENT ÊTRE INNOCENTS.


31. On se demande quelquefois si la volonté intervient dans un songe où des images obscènes viennent vous assaillir en dehors même de vos habitudes. Il arrive en effet qu’après avoir pensé dans la veille à des obscénités, non pour s’y complaire, mais pour remplir un devoir sérieux, on les voit reparaître dans le sommeil, prendre une forme dans l’imagination, exercer même sur les organes un honteux empire. C’est ainsi qu’en ce moment je suis obligé de penser à ces détails pour en parler. Or, si les impuretés auxquelles j’ai dû penser pour les exprimer, produisent en songe les mêmes effets que sur un homme éveillé qui s’y livre, il est évident qu’un acte qui serait criminel dans la veille, ne l’est plus dans un songe. Car comment parler de ces dérèglements lorsqu’un pareil sujet s’impose, sans penser à ce que l’on dit ? Or, si l’image qu’on s’est faite vient à se reproduire en songe avec tant de vivacité qu’on ne distingue plus entre l’apparence et la réalité, les sens sont nécessairement agités, sans que l’acte soit plus criminel que ne l’a été la pensée même, à l’état de veille, lorsqu’on réfléchissait à ce qu’on allait dire. Mais l’âme, purifiée par des désirs plus élevés, sait mortifier une foule de passions quine se rattachent pas aux mouvements grossiers de la chair ; les personnes chastes savent, pendant la veille, mettre un frein à ces désordres, sur lesquels elles sont impuissantes pendant leur sommeil, par cela seul que le fantôme qui reproduit la réalité et fait la même impression, est hors de leur pouvoir ; et ces nobles habitudes ont naturellement pour conséquence de faire éclater le mérite de ces âmes jusqu’au sein du sommeil. C’est pendant son

  1. Act. 12, 7-9
  2. Id. 10, 11-14